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« De nos jours, on a vite fait de se retrouver figurant d’un porno à son insu ! » Scorpio Girl n’a pas de chance. Embauchée comme réceptionniste, l’ado participe malgré elle à un tournage de film X. Les protagonistes : des acteur·ices gigotant dans des costumes dignes d’une parade de nouvel an chinois, une queue de Marsupilami en guise de pénis à la main. Plus tôt, l’héroïne de Kitty observait, indifférente, son père violant sa mère au diner. Le motif : il n’y avait pas de viande au menu, juste du tofu. La jeune fille – seul personnage du casting à paraître le visage nu – dodelinait ostensiblement en marge de l’action, l’air d’en rire. Plus tard, on retrouvera l’ingénue frayant dans un bordel insalubre, flanquée d’un malfrat qui ne manquera pas de se faire buter – et ce ne sera pas le premier meurtre de la pièce.

 

La vie moderne est une porcherie aux yeux de Satoko Ichihara, metteuse en scène japonaise férue de marionnettes et de récits malsains. Dans cette vile société, à peine dérivée de la nôtre, tout est transaction et prédation : corps, sexe, pognon, viande – humaine ou animale –, et, surtout, femmes, selon un ordre patriarcal décérébré et vacillant. Pour y faire face, pas d’autre choix qu’encaisser les pires abjections avec une impassible candeur. Cette réalité, la dramaturge la transcende à sa manière : ici, en la déposant dans un univers régressif et saccarhiné à outrance. Car Kitty fait bel et bien référence au fameux chaton franchisé du même nom, ambassadeur de la « cuteness » nippone dont Ichihara se sert ici comme arme critique. En harmonie avec le kitsch de cette référence, sur scène, tout pique les yeux : une lumière rouge/rose saturée façon sex shop, des félins défilant sur des panneaux de LED, une gamme d’accessoires douteux – quartier de bœuf, dildo –, et divers modulables en mousse ou en latex. La distribution aussi est raccord : d’affreux personnages incarnés par des performeur·euses engoncé·es dans d’énormes parures plastiques triplant le volume de leur crâne, qui opinent tout juste pour mimer un grossier playback. Et si ce n’était pas assez, la bande son, lo-fi à souhait, est tout en miaulements synthétiques. 

 

On pourrait facilement reléguer Kitty au rang de gadget provoc’ – les spectateurs quittant la salle pendant le spectacle n’y ont sans doute pas résisté – et on aurait tort. Ce serait passer à côté de son charme âpre et désenchanté, et de sa capacité de nuisance. Sans en avoir l’air, Satoko Ichihara ficelle une fable immorale de la trempe du Sade de Justine ou les infortunes de la vertu (1871) et l’applique sans pitié à la merditude du XXIe. Esthétiquement aussi, son guignol show bubblegum propose quelque chose de peu commun : l’artificialité grinçante de Susanne Kennedy – dont on retrouve l’usage du playback –, le malaise des marionnettes trash de Markus Öhrn, et le camp surjoué du Munstrum Théâtre, mâtiné de hentai – sous-genre pornographique du manga. Ces prouesses scéniques, quoique légèrement indigestes, servent une hargne vengeresse sous des airs futiles, que matérialise un épilogue en vidéo sur ballon gonflable. L’humanité y reprend tout à zéro sur une autre planète, loin de des saloperies qu’elle a commises sur Terre. Spoiler : ça rate. 

 

Kitty de Satoko Ichihara a été présenté du 25 au 27 mai dans le cadre des Festwochen au MuseumsQuartier, Vienne (Autriche)

 

du 6 au 8 novembre dans le cadre du Festival d’Automne au Théâtre de la Bastille, Paris

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