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À l’École du Nord de Lille, un exercice d’immersion en solitaire amène Suzanne de Baecque à renouer avec une (fausse bonne) idée. La tête dans ses concours d’entrée en école de théâtre, elle tombe un jour sur une affichette au Super U de Lencloître, dans la Vienne : « Mesdemoiselles, plus que quinze jours pour déposer sa candidature pour l’élection de Miss Poitou-Charentes... » Et son beau-père de lui suggérer : « Ah bah tiens, si t’as pas tes concours, tu pourras t’inscrire à Miss Poitou ! » De cette scène à l’apparence anodine, et du mépris latent qu’elle perçoit dans la boutade, Suzanne de Baecque fait aujourd’hui la colonne vertébrale du projet Tenir debout, tiré de sa participation au fameux concours.


Sur scène, une coiffeuse à néons, une pile de cerceaux et une penderie garnie de robes à paillettes semblent promettre des festivités à venir. Face public, Suzanne de Baecque entame le récit de son immersion. Dans un double énoncé, partagé entre les adresses orales de la comédienne et le texte projeté sur un écran surplombant la scène, l'aspirante Miss déplie cette plongée dans le marché de l'apparence. « L'épreuve du maillot de bain était particulièrement éprouvante, se souviendra-t'elle un peu plus tard, mais surtout, je me suis demandé comment numéro 3, numéro 5, numéro 8, numéro 12 vivaient ce moment que nous partagions ensemble. Je ne connaissais même pas leurs prénoms. » Pour rendre compte des échanges avec ses « concurrentes », l'auteure et comédienne a composé Tenir Debout, objet documentaire à la fois drôle et glaçant, incarné au plateau aux côtés de sa partenaire de jeu Raphaëlle Rousseau.



© Jean-Louis Fernandez


Elles s’appellent donc Lauraline, Lolita ou Chloé. Elles ont l’âge de Suzanne mais rêvent d’être « Miss régionale » et non de jouer sur les scènes subventionnées. À travers les deux comédiennes de Tenir debout, leurs récits prennent corps et voix sur scène, creusant un parallèle trouble entre la trajectoire de Miss et celle d’élève-comédienne. Incarnée par Suzanne de Baecque, Lauraline explique sa motivation : « Quand t’as un titre comme ça tu peux t’en servir pour porter la voix des plus petits, et la porter plus haut. T’es entendue et écoutée par plus de monde. Parce que quand t’es comme moi, une petite passante, t’es rien en fait. T’es une personne comme une autre. Quand t’es une miss, t’as beaucoup plus de « vues », plus « d’écoute ». » Mais alors que les témoignages nous parviennent, leur prise en charge par les comédiennes en présence sème une question : comment donner à voir sur scène sans pour autant déposséder ?


Galop d’essai


Suzanne de Baecque opte pour le burlesque. Injecter le réel et le déjouer pour produire une forme de profonde légèreté. Jouer sur le comique pour restituer l’absurdité des situations, à l’image de cette formation à défiler qui vire au dressage hippique sur parcours de plots jaunes. Concours de miss ou de théâtre, la physicalité qu’engage le duo féminin de Tenir debout rappelle en creux que ce qui est jugé et jaugé reste bien la performance du corps, en l’occurrence celui de la femme « égérie », cette surface de projections et de fantasmes. 


De la mémoire fragmentaire de Suzanne de Baecque, les scènes restituées arrivent par couche et jamais ne se teintent de folklore. Et ce jusqu’au monologue de fin, délivré avec un sens de l’épure et de l’intime pour une réception plus juste. Entre les mains de Suzanne de Baecque, la retranscription des paroles de Lauraline, comme pour rappeler le réel, rend visible la trace documentaire. Dans un flow de vingt minutes, leurs deux voix se rejoignent pour riposter au mépris de classe initial : ne plus attendre la validation d’une quelconque autorité pour exister, mais fabriquer un corps à soi qui permet de tenir debout dans la liberté suspendue du plateau de théâtre.



Tenir debout de Suzanne de Baecque

⇢ les 23 et 24 janvier au CCAM, Vandœuvre-lès-Nancy
⇢ le 6 février au Gallia, Saintes
⇢ le 8 février à La Mégisserie, Saint-Junien
⇢ du 13 au 17 février au Théâtre des Célestins, Lyon
⇢ du 21 au 23 février au Théâtre de Lorient
⇢ du 29 février au 4 mars au T2G, Gennevilliers

⇢ les 27 et 28 mars à La Passerelle, Saint-Brieuc

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