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Comme vos précédentes pièces Mieux vaut partir d’un cliché que d’y arriver et Je rentre dans le droit chemin, Je badine avec l’amour est une pièce qui décortique le « processus artistique ». Qu’est-ce qui vous attire dans le méta-spectacle ? 


Lors des bords de plateau, quand j’étais interprète, j’ai beaucoup entendu ces questions : Combien de temps mettez-vous pour créer une pièce ? Pourquoi avez-vous besoin de trois mois pour créer une heure de spectacle ? J’avais envie de montrer que la création n’est pas une ligne droite, qu’elle nécessite de prendre des chemins qui mènent parfois nulle part. Ce n’est pas comme apprendre une partition ou un texte préexistants en musique ou en théâtre. Nous avons besoin de temps long et de moyens pour faire des spectacles de danse. C’est en partie une démarche militante.



Il y aussi un plaisir de montrer ce que le public ne voit pas d’habitude ? 


Oui ! J’ai toujours adoré voir ce qu’il se passe dans les coulisses ou pendant les répétitions. C’est parfois bien plus fort que le spectacle lui-même. J’ai fait beaucoup de figuration à l’Opéra Garnier pour des ballet romantiques. Ce ne sont pas des rôles dansés, souvent des scènes de bal qui nécessitent seulement une expérience de la scène. Je me souviens d’un moment entre les étoiles Dorothée Gilbert et Mathieu Ganio qui se sont écroulés tous les deux au sol, épuisés, après un passage très éprouvant de La Sylphide. Il y avait une forme d’extase, c’était presque orgasmique. Puis ils sont retournés sur scène, comme si de rien n’était. J’ai trouvé ce moment bien plus intéressant que ce qu’il se passait sur scène, il nous transportait dans un tout autre style, qui me rappelait presque l’actionnisme viennois !



Vous vous amusez aussi avec l’autofiction dans Je badine avec l’amour…


L’histoire que je raconte est tirée de mon expérience d’interprète et de chorégraphe, mais elle est exagérée et extrapolée… Je suis un fan d’autofiction en littérature, c’est sûrement ce qui m’a inspiré. J’ai beaucoup lu Amélie Nothomb, qui prend des éléments de sa vie pour les amplifier et les détourner. Également Annie Ernaux, dont les récits sont plus réalistes, mais qui avoue réarranger la réalité pour combler les manques de la mémoire. J’ai aussi regardé La meilleure version de moi-même, la série de Blanche Gardin, qui commence par des événements qui lui sont probablement arrivés, pour dériver vers des histoires de plus en plus improbables. De la même manière dans Je badine avec l’amour, je raconte le parcours des interprètes qui est véridique, puis à un moment la pièce bascule totalement dans la fiction.




Vous convoquez une multitude de références dans cette pièce : les films Dirty Dancing, Ghost, des chansons de variété de Gilbert Bécaud, de Gainsbourg, mais aussi des airs d’opéra et de ballet. En quoi ces références ont été motrices ? 


J’ai appris à danser dans le silence mais comme je me suis professionnalisé tardivement, mon premier rapport à la danse s’est noué à travers la musique, le plaisir de danser dans ma chambre ou en boîte de nuit. J’adore travailler sur des musiques classiques parce qu’elles ont déjà une narration, mais leur dramaturgie laisse l’espace de se raconter des choses très différentes. Je passe beaucoup de temps à écouter en boucle de la musique classique, très connue, pour me raconter des histoires. C’est à partir de cette trame que je crée la danse.



Vous assumez une démarche narrative, ce qui est plutôt rare dans la danse contemporaine actuelle ! 


C’est en effet quelque chose qui a été laissé de côté dans la danse contemporaine, mais qui me plaît beaucoup ! La narration est aux fondements du ballet occidental et souvent, un livret est à disposition pour que le public suive l’histoire. J’aime cette idée de raconter une histoire aux gens : ils peuvent comprendre ce qu’il se passe sur scène sans avoir besoin de décrypter une multitude de références, sans se sentir bête ou intelligent. Même si je convoque de nombreuses références dans la pièce, je fais attention à ce que celles-ci soient assez explicites et diverses pour ne pas laisser le public de côté.



Vous travaillez souvent autour de clichés, dans cette pièce, ce sont ceux sur l’amour. Est-ce une manière de perturber des scripts connus à l’avance ?


Pour moi qui ai 43 ans, la vision de l’amour reste quand même un homme et une femme, même si je suis homosexuel, parce que j’ai grandi avec ça ! Même si on reprend plein de clichés de l’état amoureux dans la pièce – la passion, la colère, le désespoir –, j’avais envie de parler d’amour au sens plus large que la romance. J’ai beaucoup écouté Le Cœur sur la table, le podcast de Victoire Tuaillon à propos de la notion de communauté d’amour, qui comprend les amis et la famille. Je voulais créer une communauté de danse et qu’on se donne de l’amour entre nous, même si c’est en dehors du couple !



Je badine avec l’amour (parce que tous les hommes sont si imparfaits et si affreux) de Sylvain Riéjou

les 12 et 13 février au Carreau du temple, Paris

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