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Depuis 2014, Gabriela Carneiro da Cunha est à l’écoute des rivières brésiliennes et des atteintes qui leur sont faites. De l’Araguaia aux rives du Xingu, balafrées par la construction d’un barrage, la voilà depuis trois ans au chevet du Rio Tapajós, qui donne aujourd’hui son nom à sa dernière création. La contamination de ce fleuve au mercure, conséquence de l’exploitation minière illégale, met en danger les vivants, humains et non humains, et tout particulièrement les enfants du peuple Munduruku. Transmissible in utero ou via l’allaitement, l’excès de la substance chimique provoque une multiplication des arrêts de grossesses et des malformations gravissimes. De ces immersions au long cours, l’artiste brésilienne créé des pièces extrêmement documentées sans pour autant verser dans le si répandu « théâtre documentaire ». Réunis sous le titre Riverbanks Project on Rivers, Buiúnas and Fireflies, ses spectacles ne se contentent pas de « sensibiliser », comme le voudraient les tenants de l’écologie libérale, mais constituent autant de réponses à l’anthropocène, chargées d’une colère fertile et d’une force de transformation. 

 



© Manoela Cezar




Avec ce cycle, la metteuse en scène métabolise les plus profondes leçons de l’anthropologie contemporaine. Faire face, sans trembler, à l’héritage colonial de cette discipline. Choisir l’endroit de « friction » comme meilleur poste d’observation car s’y entrechoquent les logiques destructrices du capitalisme global et des cosmologies radicalement autres. Rendre justice aux collectifs avec lesquels on travaille en restituant leurs luttes, leur inventivité et leurs contradictions. Ni victimisation, ni exotisation, ni projection. 

 

Dans la lignée des anthropologues Anna Tsing et Nastassja Martin, Gabriela Carneiro da Cunha affirme à son tour : « Recommençons à penser là où s’entre-répondent la ruine et le possible» Mais c’est avec le théâtre qu’elle pense, dans tout ce qu’on peut encore espérer de cette discipline en 2025. « Chaque rivière est un langage et non un thème », raconte-t-elle dans la feuille de salle. En apprenant à parler cette langue, la metteuse en scène construit une forme qui réfléchit bien plus loin que tous les mots, pourtant nombreux, qui seront prononcés une heure durant. 

 



© João Freddi




Tapajós n’a rien d’un exposé scolaire, rien d’une leçon de morale. C’est une traversée entre rage et impuissance dans un paysage toujours incertain. Celle-ci se déroule dans l’atmosphère rougeoyante d’un studio photo, sous des bourdonnements anxiogènes. Deux interprètes en combinaison de protection développent de grands formats que l’on ne découvrira qu’à l’issue de la représentation. La pièce se déploie alors par accumulation de matériaux comme de langages, mais son principe reste le même, celui d’un dévoilement et d’un jeu permanent entre le visible et son négatif. Quand les ficelles deviennent celles d’une fausse conférence PowerPoint, avec son palimpseste de calques et de surimpressions, quand la figure de la mère – humaine ou rivière – apparait dans sa dualité « enfanteuse de monde » et « coupeuse de tête », ou quand l’urgence s’apaise, nous invitant à un rituel de soin où les odeurs de basilic matérialisent l’invisible, c’est toujours la même question qui se pose en sous-texte, indissociablement esthétique, politique et métaphysique. Qu’est-ce qui mérite d’être vu ? Sommes-nous capables de voir plus loin que ce que nous avons appris à voir ? 

 


Tapajos de Gabriela Carneiro da Cunha a été présenté du 14 au 24 mai dans le cadre de Tempo Forte à Vidy-Lausanne (Suisse)

 

⇢ du 10 au 17 décembre dans le cadre du Festival d’Automne à l’Ircam-Centre Pompidou, Paris 


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