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Comment la disparition de votre sœur est-elle devenue un projet de spectacle ?


Ma mère, Marie-Josée Garcia, mène un combat pour que le dossier reste ouvert. Une fois, je lui ai demandé comment l’aider, elle m’a répondu : « Tu es son frère, ce n’est pas ton rôle. » Ça m’a beaucoup questionné. Puisque je ne pouvais même pas rendre hommage à Tatiana dans la vie quotidienne – il n’y a pas de deuil possible face à une disparition –, j’ai  cherché à le faire au théâtre. Quand on ne sait pas ce qu'il est advenu, on se doit de garder espoir. Le théâtre est alors le seul lieu où faire cérémonie, parler autrement de cette histoire, mentionner ma sœur non plus comme une disparue mais comme une jeune femme, une sœur, une fille.


Parmi les personnages que vous incarnez, on trouve Valentina, une femme digne d’un Almodóvar, qui prend en charge le récit. Quel est son rôle ?


C’est comme une amie imaginaire. Sa création a été salvatrice quand il était trop difficile de parler depuis ma place de frère et de petit garçon de l’époque. Elle s’est imposée dès le départ comme la maîtresse de cérémonie : elle nous accueille dans l’intimité de la maison des Andujar, elle offre de la tortilla aux spectateur.ices qui arrivent, elle fait des blagues et met tout de suite de la distance avec le drame. En l’incarnant je fais en sorte que le public se sente en confiance, rie avec elle. Elle permet d’amener le loufoque, le surréalisme, l’Espagne.


Le rire a une grande place dans la pièce, jusqu’à parfois créer un malaise en nous laissant face à des ruptures de ton très franches.


Quand on s’en veut de rire, ou quand on manque de rire à une phrase donnée sur le ton de l’humour, cela raconte notre complexité d’être humain. C’est à l’image de la complexité de ces vingt-neuf années de disparition : je ne suis pas tous les jours planté devant mon téléphone à attendre qu’il sonne, mais il n’y a pas une journée où je ne pense pas à ma sœur. 


Enfin, il y a Tatiana, absente mais omniprésente. Quelle est sa place sur scène ?


C’est une brume : elle est partout mais on ne la voit pas. On ne l’entend pas, elle est ultra-présente puis on l’oublie, pour mieux y revenir. J’avais cette image d’un trou central autour duquel tournent les personnages. En cours de création, quand on me demandaient « T’en es où avec Tatiana ? », la question avait une double résonance. J’avais peur de donner ce titre au spectacle, de banaliser son prénom en prononçant des phrases comme « on répète Tatiana, on va jouer Tatiana ». En jouant, j’ai réalisé que le prénom comme l’histoire seraient portés par les gens, et la résonance a été telle que j’en suis encore stupéfait. La pièce contrebalance l’effroi. Tatiana est désormais l’héroïne d’un spectacle, et ce renversement m’a peut-être finalement permis de trouver ma mission en tant que frère.



Tatiana de Julien Andujar a été présenté le 19 janvier, au Théâtre Sorano avec La Place de la Danse, Toulouse, dans le cadre du festival ICI&LA

⇢ le 25 janvier au Théâtre Alibi, Bastia

⇢ le 10 février au Carreau du Temple, Paris, dans le cadre du festival Everybody

⇢ du 2 au 19 octobre au Théâtre du Rond-Point, Paris

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