Tout commence de façon très protocolaire. Une chic dame en noir se présentant comme la codirectrice du Ballet National Folklorique du Luxembourg enjoint les spectateurs à s’installer. Suivent les remerciements d’usage : les instances politiques, les mécènes privés. Puis l’annonce, comme s’il s’agissait d’une star, d’une séance d’autographes du danseur se produisant ce soir, M. Chevalier, à l’issue du spectacle. Étoffe négligemment posée sur une veste de velours, celui qui nous a été présenté comme « le bad boy du folklore »fait une entrée satinée. Directeur artistique dudit ballet, le danseur introduit sa performance par une verbeuse généalogie de la « danse du pigeon », trésor du patrimoine artistique luxembourgeois qu’il s’apprête à interpréter. L’entrée en matière a tout d’un canular mais le public joue le jeu.
Sans surprise, les battements de bras et autres flexions de jambes qui composent la fameuse « danse du pigeon » font bel et bien penser au volatile. La foule, mi-amusée mi-contrainte par la co-directrice, applaudit timidement. Et puis ça déraille. Décidé à transmettre un peu de ce qu’il annonce comme une « vision incarnée du Luxembourg », M. Chevalier embarque d’autorité l’assemblée pour lui enseigner une autre pièce prétendument majeure du répertoire luxembourgeois : la danse des herbes et des fleurs. Impossible de se défiler, chaque rangée est mise à contribution et performe avec ses bras : ici les fleurs, là les herbes. Docilement, le public s’exécute mais le professeur quitte peu à peu ses bonnes manières institutionnelles.
Spectateur·ices, co-directrice, technicien·nes : M. Chevalier ne ménage personne. Les gestes « merdiques »des uns, le manque d’investissement des autres, l’incompétence de ses collaborateur·ices, l’ingratitude du public face aux merveilles du patrimoine luxembourgeois : selon lui, rien ne va. Emporté dans ses lamentations passives-agressives, l’artiste-directeur s’enfonce dans sa posture d’artiste incompris et se terre dans le silence avant de quitter la scène dans d’ultimes roulades. Un silence interrogatif parcourt la salle après une telle déflagration de pathos : jusqu’où le public accepte-t-il de cautionner les délires d’artistes prêts à tout pour exprimer leur génie auto-proclamé ? Que dire des institutions qui les soutiennent aveuglément, soucieuse de se placer dans l’arène culturelle ? The great chevalier donne dans la satire qui tache et n’hésite pas à grossir le trait, mais sa démonstration n’en demeure pas moins pertinente. Sous ses airs grotesques, ce méta-duo déplie les paradoxes, personnels ou politiques, qui tiraillent la création artistique. Le coup est sec et le public n’en sort pas sans un léger sentiment d’embarras. Plutôt qu’une séance de dédicaces – qui n’aura pas lieu –, un temps calme n’aurait pas été de trop pour digérer ce petit affront.
The great chevalier de Simone Mousset a été présenté du 5 au 24 juillet dans le cadre du Off Avignon au Train Bleu
⇢ du 1er au 3 avril dans le cadre de Séquence Danse au CENTQUATRE, Paris
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