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Une chaise, une bouteille d’eau, un sac poubelle : sur scène, peu de choses pour distraire les sens. Lumières de la salle toujours allumées, le comédien Claude Duparfait prend place et déclame les bons mots du philosophe Schopenhauer sur la difficulté des humain·es à se connaître sans se faire de mal. Puis, crispé sur sa chaise, son personnage s’épanche sur son isolement dans un village autrichien. Tourmenté par la maladie, incapable de travailler, il rend visite à un ami. C’est chez ce dernier qu’il rencontre un couple dont on désigne la femme sous le nom de « la Persane ». Son mari parti, le narrateur propose à l’intrigante invitée une promenade dans la forêt des Mélèzes. Leur relation nous sera relatée en vidéo – Mina Kavani incarne la jeune femme à l’écran. D’abord mutiques, leurs échanges évoluent en miroir. Le narrateur se sent mieux et désire à tout prix aider celle qui lui a permis de retrouver sa vigueur, sans y parvenir.


Mais peut-il y avoir réciprocité dans une relation à deux ? Peut-on se sauver et être sauvé.e ? Dans Oui (1978) de Thomas Bernhard, nihiliste en chef des lettres autrichiennes, le narrateur déroule une logorrhée pour tenter d’y répondre. Sous la direction de Célie Pauthe, cet épais monologue prend la forme d’une confession face public rythmée par des flash-backs vidéo qui donnent au personnage féminin toute sa dimension. Mais la révélation que produit cette adaptation est encore ailleurs : c’est la quête d’un nouvel élan vital, déjà présente dans l’écriture de Thomas Bernhard, qui donne ici toute sa couleur au plateau. Rien ne nous est pourtant épargné de la litanie bernhardienne : vertige de la solitude, lutte contre la mélancolie. Quelques rires échappés du public nous rappellent alors que malgré l’inquiétude qui endeuille le récit, l’humour subsiste chez l’Autrichien. Claude Duparfait scande son célèbre phrasé continu tel une ritournelle – suspendue à ses lèvres, la salle est en apnée.  


Entre deux tirades, lumières enfin éteintes, les séquences filmées laissent au comédien à et son public des moments de répit. Et c’est dans ces souvenirs sylvestres que la présence des personnages se suffit à elle-même, par-delà les dialogues. Nous voilà du côté des femmes silencées et condamnées par leur mariage. Mina Kavani porte la voix de l’une d’elles, « la Persane », qui s’insurge de ce surnom qu’on lui donne, réactualisant les dénonciations xénophobes que portait Bernhard contre son pays. Dans ses échanges avec le narrateur surgissent les poèmes de l’illustre Iranienne Forough Farrokhzad, qui viennent affirmer la force de la culture persane. La référence détonne d’ailleurs parmi celles de Bernhard, plutôt masculines et élitistes.


Alors bien sûr, on aurait souhaité la mise en scène plus radicale. Mais son objectif est louable : Célie Pauthe sert le texte. Dans cette structure en allers-retours, l’enjeu est de donner corps à la relation entre le narrateur et « la Persane » en soulignant toute la violence que peut contenir une intimité. Le dispositif filmique reprend aussi les tics de la langue bernhardienne : il se répète comme ces notes de musique qui sonnent progressivement l’impossibilité d’aider l’autre. Et si le texte dénonce la misogynie et le racisme du temps de Thomas Bernhard, les lumières de la salle, braquées sur le public, mettent bien en cause notre époque : la réflexion du narrateur – ou de l’auteur – est toujours d’actualité.  


Oui de Célie Pauthe, jusqu’au 15 juin à l’Odéon Ateliers Berthier, Paris

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