Un air de rituel flotte sur la Piazza Ganganelli, esplanade centrale du village de Santarcangelo di Romagna. Le public est assis au sol, sur des bancs ou debout, y compris des locaux plus âgés, curieux de ce spectacle en libre accès proposé par le festival de Santarcangelo. Au centre : un performeur. Des claquements de main, une ronde dansée : quelque chose nous ramène à la tarantella ou au saltarello, aux rythmes soutenus des tambours comme dans la tammurriata du Sud, ou encore aux pulsations des cortèges historiques médiévaux, toujours présents dans de nombreuses fêtes locales. Même sans y appartenir directement, ces gestes, ces sons, ces formes de communauté nous sont familiers : ceux-ci rappellent que le rite, la danse et le rythme sont un langage ancestral qui parle à tous les corps.
La performance s’intitule « When the Calabash Breaks », d’après un proverbe africain. Celui-ci désigne un moment de crise, de rupture, une tempête. Une métaphore de notre temps présent, marqué par les guerres, l’urgence climatique et la sape du service public de la culture – qui frappe de plein fouet le présent festival, privé des financements du Ministère de la culture dès cette année. Le spectacle revendique une pratique du soin loin des clichés bienveillants. Ici, le soin se danse, se transpire, se défait, régénère. Il est sale, imparfait, comme les battements tribaux qui accompagnent encore aujourd’hui les rites de mort et de renaissance.
Au cœur du spectacle, Tiran Wilemse nous happe par sa présence magnétique. Danseur sud-africain basé à Zurich, il allie formation classique et souffle rituel, usant de son corps comme d’un archive de mémoires et de pratiques diasporiques. Chacun de ses gestes est précis, répété, transformé. Il marche en cercle, se plie, s’offre au regard. Ses mains glissent sur son visage, le touchent, pénètrent dans sa bouche et en ressortent couvertes de salive, comme si sa tête avait quitté son corps – un objet à désarticuler, à profaner, à faire renaître.
Autre élément de la combustion qui se produit sous nos yeux : la musique. La bande-son du spectacle est signée Melika Ngombe Kolongo, autrement connue sous le nom de Nkisi dans l’avant-garde club. La productrice congolaise, grandie en Belgique, est la cofondatrice de NON Worldwide, collectif de kamikazes croisant électro-noise et activisme décolonial. Ses beats sont lents, sales, hypnotiques. Parfois, ceux-ci se désynchronisent et ouvrent des zones de perte et de régénération. Le visage impassible, Melika tranche avec l’intense physicalité de Tiran et laisse la vibration sonore opérer. Leur collaboration affirme ainsi la danse comme acte de résistance et pratique spirituelle. Petit à l’échelle de l’espace qu’il occupe, le corps du performeur gagne pourtant des proportions monumentales et canalise des énergies invisibles. En clôture, le duo s’étreint et se sourie, la tension se dissipe. Le calme après la tempête, une réconciliation avec l’expérience collective du désastre.
When the calabash breaks de Melika Ngombe Kolongo (Nkisi) et Tiran Willemse a été présenté du 8 au 10 juillet au festival de Santarcangelo di Romagna (Italie)
⇢ le 13 septembre à La Centrale, Sion, dans le cadre de la Biennale Son
Untitled (Nostalgia, Act 3), de Tiran Willemse :
du 3 au 6 octobre à l'Arsenic
du 22 au 25 janvier au Pavillon ADC, Genève
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