CHARGEMENT...

spinner

La salle est encore plongée dans l’obscurité lorsque des sons nous parviennent des enceintes : les roues d’un carrosse, le hennissement d’un cheval. Pourtant, lorsque la lumière se fait : le rideau est toujours là. Pas de carrosse, pas de cheval, seulement un velours épais et rose recouvrant le plateau. Une figure habillée en costume militaire en sort à reculons, quelques secondes seulement, puis s’engouffre à nouveau dans les pans du tissu. Un homme d’affaires lui fait suite, costard et cheveux gominés, et vide sa mallette pleine de bûches sur scène. Puis, une femme en robe de mariée crachant des marguerites en plastique, un homme affublé d’un déguisement gonflable d’ours, et d’autres. Plusieurs personnages et mini-saynètes se succèdent ainsi, drôles et décalées. Des images comme des bribes d’histoires sans contexte, trop brèves pour s’y raccrocher. Velvet se déroulera ainsi, dans un flottement : impossible de savoir dans quel rêve – mi-lucide, mi-loufoque ? – nous nous trouvons. Une seule chose à faire : profiter du voyage.

 

Lorsque le rideau se retire enfin, une ribambelle d’autres rideaux se dévoilent à leur tour, de tailles et de couleurs variées, occupant toute la profondeur de scène. Ils se devinent les uns derrière les autres, laissant anticiper un univers encore inconnu, le décor d’une saynète à venir. Accompagnée d’un régisseur, la troupe du départ se livre au montage d’une nature morte. Une estrade à roulettes leur est offerte au centre de la scène, devant une étoffe figurant une plaine embrumée. Tour à tour, les comédien·nes ramènent des coulisses animaux empaillés et éléments de végétation. Le général du début, positionné entre des chiens, une oie, un tronc d’arbre et une tête de sanglier sous plastique, vient parfaire le tableau. Musique classique à toute berzingue dans les enceintes et une bonne dose de fumée : la troupe admire son œuvre quelque secondes avant de passer à la suite.

 

Velvet se range parmi les ovnis scéniques, naviguant entre les tons et les genres. La pièce prend pour point de départ un portrait peint par l’Américain James McNeill Whistler à la fin du XIXe siècle, Symphonie en blanc n°1 : La jeune fille en blanc. Surfant sur cette esthétique typique du mouvement de l’Art pour l’art, la pièce conserve la mélancolie ambiante de la toile. Ce théâtre d’images n’est pas sans rappeler le Monument 0.10 : The Living Monument d’Eszter Salamon. Fresque de près de deux heures dans laquelle se succèdent d’immenses tableaux monochromes. La quasi immobilité de la chorégraphie nous fait presque oublier les quatorze danseur·euses présent·es sur scène pour se concentrer sur les longs drapés qui constituent le décor. L’humain est sur scène, mais il anime le décor, star du show. Velvet procède d’une démarche similaire. Au-delà de son esthétique léchée, c’est par ses changements de tons que cet objet théâtral convainc : ultra réaliste ou subtil un moment, absurde ou potache le suivant. Béasse et Salamon partagent sans doute le même objectif : renverser les référents du théâtre, retirer le rôle traditionnellement attribué aux comédien·nes et relayer ceux-ci au rang d’accessoire, de décor. En bref : déplacer le regard du spectateur vers les à-côtés, à la recherche de nouveaux imaginaires. 

 

 

Velvet de Nathalie Béasse a été présenté du 11 au 18 janvier à La Commune, Aubervilliers 

 

⇢ du 23 au 25 mai dans le cadre du festival Théâtre en mai au théâtre Dijon Bourgogne

Lire aussi

    Chargement...