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En arabe marocain, « ayta » signifie le cri, un appel pour attirer l’attention d’un être cher ou pour sensibiliser à une cause. Un chant ancestral, de célébration et de résistance. Dans le spectacle que Youness Aboulakoul a ainsi nommé, le cri est sourd, écrasé par une bande-son tonitruante, poussant les corps sur le chemin périlleux de leur émancipation. Comme souvent dans le travail de l’artiste marocain qui signe ici musique et chorégraphie, le son précède l’activation du mouvement et fait grimper les décibels. Très tôt, il sonne dans l’obscurité d’un plateau qui se dévoile pas à pas. Deux rideaux de franges encadrent l’espace, voilant et dévoilant le hors-champ. Dans un angle, une cohorte compacte de six femmes, en body ou short de boxe. Elles entament une marche lente, synchronisée, en contrepoint d’un beat répétitif vite saturé. Ce n’est que vers la fin du show que des bribes de musiques ancestrales se glisseront dans cette turbine électro.


Les premiers gestes en feraient douter : ces femmes sont-elles maîtresses de leurs mouvements ? Ou guidées par une voie extérieure qui en feraient ses pantins ? En lignes et en diagonales, en duo ou trio, tantôt dressées ou courbées, leur masse se défait sans laisser pourtant émerger la moindre singularité. Surgit alors la violence, par un coup dans le ventre qui plie les corps en deux. Une violence furtive, qui nécessite d'y prêter attention, et ne s’impose pas comme sujet principal de la pièce. Les corps n’y ripostent jamais. Ils se redressent et entrent en résistance par contamination dans une suite de chutes et d’élévations.  


Au climax sonore, les cheveux se défont dans une ondulation chorale. Cette image est-elle alors surface de fantasme à l’adresse du regard masculin signant la pièce, ou réelle manifestation d’une libération des corps ? Un male gaze animerait-il cette écriture chorégraphique ? La pièce nous le fait envisager. Certes, son sujet est bien la « femme collective » et non plus un simple objet appropriable. Seulement, la narration parle à la place du personnage féminin plus qu’elle ne considère son point de vue. L’expérience féminine n’est prise en compte dans l’écriture que partiellement, et parce qu’elle suscite l’empathie.


À l’arrivée, nous voilà face à des corps érotisés, réunis dans un casting homogène ne rendant pas compte de la diversité des violences vécues – celles-ci ne sont d’ailleurs jamais explicitées. Un regard d’homme, donc, sur des violences visant des femmes. Entre ancestralité et fantasme, à l’inverse d’une expression située, consentie et conscientisée. Le cri à faire entendre aujourd’hui est pourtant celui de femmes excédées par le mansplaining : se faire l’allié de leur combat exige silence et retrait, et non de signer des œuvres en leur nom.



AYTA de Youness Aboulakoul a été présenté le 14 février à KLAP Maison pour la danse, Marseille, avec le Théâtre Joliette

⇢ le 29 février aux Hivernales, Avignon

⇢ les 13 et 14 mars à POLE-SUD, Strasbourg

⇢ les 26 et 27 mars au CENTQUATRE, Paris, dans le cadre de Séquence Danse

⇢ le 3 avril au Gymnase, Roubaix, dans le cadre du festival Grand Bain 

⇢ le 7 mai à Espaces Pluriels, Pau

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