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Elle espère devenir artiste, ou autrice – prouver sa singularité au monde, c’est-à-dire à ses followers. En attendant, elle travaille pour payer un loyer exorbitant et se sent écrasée sous le poids des rêves inassouvis de ses parents. La narratrice de Je suis fan est une jeune londonienne d’origine indienne. Elle vit de soirées Netflix et de malbouffe industrielle, quand elle n’est pas happée par un sport d’endurance : décortiquer le compte Instagram de « La femme qui m’obsède », concurrente directe dans la course à la séduction de « L’homme avec qui je veux être ». La première est une influenceuse nord-américaine, blanche, riche, fille d’un poète multiprimé, élevée dans une ferme urbaine, spécialiste de design hors de prix et de recettes de cuisine « vraiment, vraiment bio ». Le second est une personnalité du monde de l’art qui enchaîne les conférences et les expositions, cultive les relations adultères tout en prétendant avoir intégré les leçons de la déconstruction masculine. Plus qu’un amant, c’est le statut que confère l’attention de celui-ci que la narratrice convoite, au risque de se noyer dans le flux ininterrompu des stories de sa rivale et de son crush. Le premier roman de Sheena Patel, traduit en français par Marie Darrieussecq, se situe quelque part entre la désinvolture d’une Ottessa Moshfegh (Mon année de repos et de détente) et l’insolence de Chris Kraus (I Love Dick). Expérimental, hypnotique comme peuvent l’être les contenus qui défilent sur nos écrans, fulgurant par endroits et agaçant à d’autres, ce roman embrasse pleinement son sujet : comment raconter l’emprise et les conséquences de la mise en scène permanente de soi sur les réseaux sociaux ? Au règne du like, que peut-on espérer de l’amour ?

Un entretien extrait du numéro 126 de Mouvement



Le titre de votre livre pose une ambiguïté développée tout au long du roman. Dans Je suis fan, il y a l’idée d’un enthousiasme dévoué. À vous lire, on comprend que cet exercice d’admiration est, chez votre narratrice, une assignation à rester extérieure à l’objet qu’elle convoite. Être fan, ici, est une condamnation à ne jamais approcher l’objet de son désir.

 

J’ai commencé à écrire le livre pendant la pandémie. Je vivais chez mes parents. Quand je descendais au salon, je trouvais systématiquement ma mère sur le sofa en train de regarder la télévision. L’idée m’est venue de là. Et puis, il y a quelque chose de désinvolte dans ce titre qui me plaît. « Je suis fan », c’est un commentaire qu’on lance à tout bout de champ, l’équivalent du pouce ou du cœur sur les réseaux sociaux. On oublie souvent qu’il y a le mot « fanatique » en embuscade, un terme beaucoup moins léger.

 

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