1. J’ARRIVE DANS LE GAME EN HD.
Soyons transparente : comme plusieurs millions de personnes de ce pays, je suis fan d’Aya Nakamura. Je la chante sous la douche, je la passe en soirée et je twerke sur ses tubes, je minaude énamourée, je l’écoute dans le train et sur la route du taf, je suis allée crier ses hits à son concert, en chœur avec des plus jeunes et des plus vieilles que moi qu’elle rassemble dans la joie. J’admire sa réussite, sa façon de conquérir. Je la trouve stylée, virtuose, altière et elle me fait même m’intéresser à Balmain et Lancôme, dont je n’ai personnellement rien à cirer. Juste pour rappeler que je ne prétends pas à l’objectivité : c’est une groupie qui vous parle. Néanmoins l’objectivité existe, en l’occurrence sous la forme d’une série de faits. Rappelons-les rapido : Macron suggère qu’Aya Nakamura chante Édith Piaf à la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques, selon l’Express. Aya Nakamura publie juste une vidéo d’elle à un gala avec le commentaire laconique : « ÉDITH PIAF ? ». Sourire et laisser dire.
2. LES RAGEUX NOUS PISTENT.
Mais tout de suite, l’avis des plateaux, l’avis des fachos : elle n’est pas française, elle ne chante pas français, ce n’est pas de la musique. Plaintes déposées par la Licra et SOS Racisme ; Aya répond seulement : « Je ne connais pas ces gens. » Elle se tient droit dans ses bottes, comme toujours : Il croit être dans ma trajectoire, oh il est chou.
3. LES HYPO-PO, LES INGRATS.
Qui sont les racistes de France ? Ceux qui applaudissent CNews, lisent L’Incorrect et défilent cagoulés comme des gens qui ne s’assument pas ? Ce sont des Blancs et généralement des mecs (quoique les partis d’extrême-droite se targuent d’avoir des cautions racisées, et quoique dans leurs cortèges, des fachottes se démarquent avec une gueule encore plus grande et plus hargneuse que leurs congénères mâles). Des hommes blancs donc, qui viennent de découvrir stupéfaits qu’ils ne sont pas la majorité. Eh bah non. Ils sont la moitié de l’humanité, moins les hommes de toutes les autres couleurs que la leur. Donc ils sont en minorité. Mince alors ! Autrui existe ! Il est différent de soi-même ! Il faudrait aller à sa rencontre !
4. JE SAIS QUE T’AS PEUR.
La rencontre : voilà qui les fait flipper de ouf. La rencontre qui est à la base de toute possibilité d’amour. Car à la manière de tout puceau et toute pucelle, les fachos sont face à ce grand saut entre masturbation et copulation et ils ont grave la trouille. Là, on pourrait imaginer qu’ils fassent comme presque tout puceau et risquent le grand saut pour accéder à la joie. Mais non. Comme le démontrent les rictus d’Éric Zemmour et l’air ahuri de Jordan Bardella, tragique et ridicule sont le lot des fachos. C’est pour ça qu’ils ont la haine. Ce sont des puceaux tragiques et ridicules, donc ils détestent tous ces autruis qui par leur seule existence les mettent en minorité et leur rappellent leur ignorance des choses de l’amour, pauvres onanistes.
Ce qu’ont oublié les fachos c’est que la majorité n’est rien qu’une invention numérique. Quand seuls les hommes blancs votaient, évidemment ils étaient numériquement majoritaires dans le vote. C’est pour ça que les fachos ont du mal avec l’égalité des droits. Si les juifs, les femmes, les pédés, les Arabes, les noirs, tous ces autres donnent leur avis, on va jamais plus y arriver ! Alors ils couinent, ils grognent, ils montrent les dents. Ils attaqueraient bien en fait. Ils n’attendent que ça. Et quand ils en ont après Aya, moi aussi j’ai envie d’aboyer. Ils me mettent tellement en rogne que je pourrais en venir à leur ressembler. Or moi, ça me fiche en rogne : ça me fiche en rogne que ce pays soit saturé par les « analyses » des fachos, sur tous les tons et à toutes les heures. Sur les JO, ils ont leur avis, sur la Palestine, ils ont leur avis. Sur le moindre fait divers, ils ont leur avis. Sur la transidentité, ils ont leur avis. Leur avis, c’est toujours qu’il faut la guerre contre les autres, les femmes, les noirs, les musulmans, les juifs, les pédés. Et les racistes de France défilent dans les rues de la capitale, et ils déploient des banderoles contre Aya Nakamura.
5. BAH OUAIS.
Heureusement, Aya suit une ligne politique simple : ignorer les connards et tracer sa route. Je n’ai pas le temps d’avoir le temps / J’ai tèj tous tes gars / S’il te plaît dis-leur doucement / J’ai calé, calé l’affaire : Laissez, laissez-moi faire. Et Aya Nakamura triomphe. C’est tout. Elle ne met pas une cagoule pour se fondre dans un groupe quelconque, elle en met une trop belle, en fourrure rose bonbon, sur la pochette de son album DNK (2023), regardant autrui droit dans les yeux. Elle est là, avec sa voix, sa peau, ses seins, et elle leur donne l’allure et le sens qui lui plaisent. Elle s’assume et elle se livre. Elle fait danser et chanter le monde entier, parce qu’à part les fachos, tout le monde sait très bien que l’art n’a pas de drapeau.
6. IL VOULAIT ME CADENASSER / LA NAKAMURANCE A DIT : « VAS-Y, J’EN AI ASSEZ ».
Ah oui, en passant : à Marion Maréchal, gardienne de la francophonie qui explique que les chansons d’Aya Nakamura ne sont pas du français, on va juste rappeler que l’orthographe et le bon usage sont des inventions de Louis XIV, qu’on nous a appris à respecter (que dis-je, à vénérer comme une idole cruelle) au sein de l’école de la Troisième République. En d’autres termes, deux époques historiques où l’État français était principalement intéressé par la guerre d’accaparement colonial ; où des lois instaurant l’inégalité de races furent écrites et promulguées ; deux époques aussi où furent systématisées les galères puis les bagnes ; deux époques où le but ultime de l’État était le dégagement de plus-value – mercantilisme, capitalisme industriel – au profit d’une aristocratie, puis d’une élite bourgeoise dont les femmes étaient exclues, surtout celles nées sans père – désolée Marion. Défendre un état de langue, c’est défendre l’idéologie et le système légal qu’il sert à exprimer. Quant au vocabulaire, on rappellera juste que seuls les lexiques des langues mortes n’évoluent pas.
7. J’ARRIVE DANS MA TCHOP, TOI T’ES DANS LE FLOP.
Pendant que les fachos s’agitent, les Flammes décernent les récompenses sur la scène des musiques urbaines. Aya Nakamura en rafle trois. La Flamme de l’album « nouvelle pop » récompense une œuvre qui « transcende les frontières des genres musicaux pour toucher le (très) grand public ». La Flamme de l’artiste féminine récompense celle « qui a irradié l’année écoulée par son talent, son aura ou son action ». Enfin, la Flamme du rayonnement international récompense l’artiste « qui a su dépasser les frontières de la francophonie pour donner une échelle européenne ou internationale à sa carrière ». Toutes prouesses dont Éric Zemmour et ses émules ne peuvent évidemment pas se targuer.
Dans son discours de réception, Aya a dit ceci : « Je suis très honorée parce qu’être artiste, femme, et noire, et qui vient de banlieue, c’est très très difficile. » Aya Nakamura sait qu’on n’est jamais majoritaire, que toute réussite est la somme des audaces qu’on a eues, des risques qu’on a pris. Elle a dit qu’elle était fière d’en avoir inspiré plus d’une. Évidemment, ça, les gros bras blafards et petits cerveaux pâlots des puceaux déguisés en chiens de garde, ça les dépasse.
8. CÂLIN PARTOUT, PARTOUT.
Mais revenons à l’essentiel. Elles parlent de quoi, les chansons d’Aya Nakamura ? D’amour. Elles parlent de rencontres qui font voir flou, de disputes qui montent dans les tours et se règlent dans les chambres. Elles parlent de rupture nécessaire pour se respecter encore, de la carrière qui rend autonome et du sentiment qui donne envie de se laisser aller. Les chansons d’Aya Nakamura parlent de l’amour vrai, celui qui comprend les risques et les craintes, le frisson et la détresse, la séduction et la jalousie, celui qui dans les draps comme dans la rue engage à assumer d’être soi et de se livrer à autrui.
9. JE VEUX PAS LA GUERRE, JE VEUX LES PÉTALES.
L’amour est un programme politique. Et puisqu’en définitive, les Jeux Olympiques, fondés sur les nations – invention de Louis XIV et de ses pairs –, ne sont qu’une célébration des frontières – grande occupation de la Troisième République et de ses collègues –, nations et frontières qui sont autant de machines à guerre, laissons là le débat et substituons le mépris à la rogne, la danse au pas de l’oie. Ce qu’on veut pour l’été, c’est de l’amour et des rencontres, des peurs dépassées et des flirts qui deviennent de grandes histoires. Les vrais sportifs le savent : l’essentiel, c’est d’aller au bout de son effort, pas d’être hégémonique. Les champions ne sont jamais majoritaires, et ceux qui revendiquent la majorité ne sont jamais champions que du désastre. Aya Nakamura, elle, est déjà loin : « Tu voulais me comparer aux autres, mais moi, c’est le haut niveau. »
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