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Depuis Mitterrand, le combat LGBT+ était solidement amarré à la gauche. Mais c’est du passé. L’incompétence socialiste sur les questions minoritaires et la banalisation de l’homosexualité ont eu pour revers l’émergence d’un « homonationalisme » dont Le Pen et Zemmour cherchent à s’emparer. Résultats : à l’Assemblée, les gays les plus en vue sont à l’extrême droite de l’hémicycle. La société suit : taper sur les étrangers et les trans n’a plus rien de tabou pour bien des homosexuels. Et si la dernière victoire des fascistes avant le pouvoir, c’était les LGBT+ ?


Une enquête extraite du n°125 de Mouvement




Samedi 29 juin 2024. La France a le cœur en fête : demain, on se rend aux urnes pour le premier tour des législatives anticipées suite à la dissolution surprise de l’Assemblée. Cette année, c’est donc dans un bain d’unité nationale que la Marche des Fiertés parisienne s’apprête à s’élancer Porte de la Villette. Il est tout juste 13 heures et la foule s’agrège en amont du défilé. Les discours s’enchaînent sur le podium. Mais dans un coin, un happening inédit se mijote : une dizaine de « gays patriotes » se sont donné rendez-vous. Deux d’entre elleux sont vite repéré·es : Yohan Pawer, influenceur médiatisé, et Mila, égérie identitaire depuis l’affaire de son harcèlement en ligne en 2020. Iels ignorent que la préfecture de police a eu vent de leur projet et qu’elle a prévenu le service d’ordre de la manifestation. Une poignée de queers antifas les attend de pied ferme sur leur point de ralliement. Le groupe de patriotes a tout juste le temps de dégainer ses pancartes qu’une confrontation éclate. Farine et peinture volent, quelques coups sont échangés et un journaliste d’un média de droite, appointé pour l’occase, se fait rafler son appareil photo. La police calme le jeu et l’esclandre n’aura qu’un écho limité dans le cortège. Reste une image qui cartonnera en ligne : celle de Yohan et Mila, enfariné·es mais triomphant·es, derrière une ligne de CRS.


« Je ne voulais pas qu’on associe notre initiative à de la violence », regrette Yohan Pawer à la table d’un café dans le centre de Paris. Il peut pourtant se satisfaire de la viralité de l’opération, même avortée. La photo a fait le tour des médias de droite et confirmé sa notoriété de militant. Celle-ci n’était déjà plus à faire : sur les réseaux sociaux, ses vidéos, stories et posts récoltent parfois des millions de vues. Au menu : des micro-trottoirs ou des prises de parole indignées sur des agressions homophobes – surtout lorsque leurs auteurs sont racisés – et un woke bashing virulent, émis du point de vue d’un « homo de droite et fier de l’être ». CNEWS lui tend fréquemment le micro, l’émission Touche pas à mon poste le retweete. En personne, le tout juste trentenaire au look lambda est affable, posé, en contraste avec la véhémence de ses contenus. « Depuis le succès de ma première vidéo où j’infiltrais une lecture de drag queens face à des enfants, j’ai reçu de nombreuses menaces de mort et j’ai dû quitter Gentilly, où j’ai grandi. Ça m’a coûté aussi mon taf chez Maisons du Monde, on me reconnaissait et certains clients réagissaient mal. Mon supérieur approuvait ma démarche mais ce n’était plus tenable. » Sa politisation, Yohan la doit à des parents lepénistes issus de la classe moyenne et à une adolescence marquée par une « insécurité provenant toujours des mêmes profils ». Dès sa majorité, il milite au Rassemblement National puis, vers 2020, pour Éric Zemmour, toujours en liant son engagement à son homosexualité. « C’est Gilbert Collard du RN qui m’a donné un jour l’idée de monter un groupe de gays nationalistes. À l’époque, ça me semblait inaccessible. » Courant 2024, le Collectif Éros voit le jour sous forme associative avec un coup de pouce logistique de Némésis, formation de « féministes identitaires ». La première campagne en ligne de la formation est fructueuse : Yohan et ses collègues ont reçu quelque 700 candidatures de personnes souhaitant rejoindre le mouvement.


Si le rapprochement « homosexuel » et « extrême droite » n’allait pas de soi il y a encore dix ans, peu s’en émeuvent encore en 2025. La banalisation de l’homosexualité dans la société a eu pour corollaire sa banalisation dans les rangs d’une droite dure qui, jadis, s’acharnait à l’annihiler. On ne compte plus désormais le nombre de députés RN ouvertement gays, certains jouant volontiers de leur appartenance à la minorité LGBT+. L’un d’eux, Jean-Philippe Tanguy, a été élu « député de l’année 2025 » par le jury bien droitard du Trombinoscope, média pro de la presse politique, en février dernier. Le courant « gay d’extrême droite » a pourtant des origines obscures dont personne n’aurait idée de se réclamer aujourd’hui : dès les années 1970, quelques penseurs respectés élaboraient au sein de la confidentielle revue Gaie France une mystique homosexuelle matinée de dandysme aristo, de pureté aryenne et de crypto pédophilie. Plus récemment, courant 2010, l’alt-right américaine a accouché d’une faction pédé outrancière fortement médiatisée qu’incarne le fantasque Milo Yiannopoulos, star de la provoc et soutien féroce de Donald Trump. En Europe, la nomination d’homosexuel·les à la tête de partis d’extrême droite en Autriche et aux Pays-Bas a parachevé cette intégration – en Allemagne, c’est Alice Weidel, une lesbienne mariée à une Srilankaise, qui dirige l’AfD depuis 2022. Enfin, côté idéologie, l’argumentaire anti immigration en Occident doit sa colonne vertébrale, le célèbre « grand remplacement », à un autre homosexuel : l’auteur Renaud Camus. En 1979, cet ancien socialiste racontait ses plans culs dans Tricks, roman culte préfacé par Roland Barthes. Depuis les années 2000, une nouvelle passion l’anime : la provocation à la haine raciale par le biais de Journaux qu’il autoédite depuis son château dans le Gers. L’essayiste, qui se dit souvent ruiné, s’est tout de même fendu d’un don au Collectif Éros.


QUAND LA GAUCHE ÉTAIT GAY 


« Avant, les pédés de droite, ils l’ouvraient pas ». Porte-flambeau de la lutte contre le SIDA au sein d’Act Up, Didier Lestrade se souvient d’une époque où le monopole de la gauche sur ce qui s’appelait encore le « mouvement gay et lesbien » ne faisait pas de doute. « Certes, le premier groupe militant, Arcadie, qui a eu un peu de visibilité dans les années 1960-1970, n’était pas très politisé, se souvient-il. Mais à l’arrivée de Mitterrand, les choses étaient claires : la lutte pour les droits était portée par des forces de gauche et ce jusqu’aux années SIDA. Depuis Mitterrand, le combat LGBT+ était solidement amarré à la gauche. Mais c’est du passé. L’incompétence socialiste sur les questions minoritaires et la banalisation de l’homosexualité ont eu pour revers l’émergence d’un « homonationalisme » dont Le Pen et Zemmour cherchent à s’emparer. Résultats : à l’Assemblée, les gays les plus en vue sont à l’extrême droite de l’hémicycle. La société suit : taper sur les étrangers et les trans n’a plus rien de tabou pour bien des homosexuels. Et si la dernière victoire des fascistes avant le pouvoir, c’était les LGBT+ ?


Caroline Fourest était encore une militante lesbienne anti-FN. Qui aurait pu s’imaginer qu’elle devienne un des artisans de la pensée de droite vingt ans après ? Et c’est bien cette pensée qui pèse désormais dans le vote gay, comme en témoignent les rares sondages prenant en compte l’orientation sexuelle des répondant·es. Dans une étude IFOP précédant la présidentielle de 2022, 28 % des LGBT+ se disent favorables à l’extrême droite, RN et Reconquête cumulés. Le temps du « sexuality gap », ou quand le vote homo penchait plus à gauche que le vote hétéro, semble révolu. Dans son ouvrage Pourquoi les gays sont passés à droite publié en 2012, Didier Lestrade situe le début de ce basculement au 11 septembre 2001. « À ce moment-là émerge, dans la sphère LGBT, une critique du communautarisme et une crainte des immigrés. Plusieurs paramètres se croisent. La droite française comprend que les personnalités gays, ça marche bien. T’es homo et réac : tu retournes la crêpe et ça fait ta réputation. Pendant ce temps à gauche, ça traîne des pieds pour faire des coming outs. La question gay, ni les socialistes ni les Verts n’ont su vraiment s’en emparer. On l’a vu en 2013 : François Hollande a délibérément laissé pourrir le débat autour du mariage. Si bien que, quand il a été voté, la France a été le seul pays où ça n’a pas été une fête : tout le monde était rincé. » Pour Yohan Pawer, le tournant n’a pas été la chute du World Trade Center mais, étonnamment, le meurtre de George Floyd par la police en 2020 aux États-Unis. « Cela m’a choqué, oui, que des policiers blancs tuent un homme noir, développe-t-il. Mais ce qui m’a davantage choqué, c’est ce qui a suivi : le mouvement Black Lives Matter a donné des idées aux LGBT et de là sont nées mille dérives qui ont mené par exemple à Queers For Palestine. Quel est le rapport entre ces luttes ? C’est aussi le moment de l’explosion des “genderfluids”, de la “transidentité” et de la propagande dans les séries Netflix. Ces militants ne nous représentent pas, nous homosexuels. » La voilà donc, la fameuse « dérive LGBT » : un lot de revendications perçues comme abusives et une solidarité envers des causes exogènes et donc illégitimes. Pour autant, Pawer ne renie pas les victoires du passé, de la dépénalisation à l’adoption en passant par le mariage. « Il y a du bon à gauche. D’ailleurs, si ce n’était pas pour l’islamisme, le wokisme et l’insécurité, je voterais peut-être pour eux. » Mais il y a un autre point sur lequel se retrouvent les homonationalistes : l’hétérosexualité reste la norme. « J’appartiens à une minorité, je n’impose rien. »



À l’Inter-LGBT, la structure qui coordonne les associations de la communauté, on ne peut ignorer que la barque gay tangue à droite. Son président James Leperlier ne parle pas de submersion mais relève que le consensus sur la ligne politique parmi les adhérent·es est moins fluide que par le passé. « Il y a toujours eu de vifs débats sur les mots d’ordre de la Marche que nous organisons, tempère-t-il, y compris du côté de l’aile gauche qui nous reproche de ne pas être assez anticapitalistes. En 2024, les discussions ont plutôt porté sur le rejet de l’extrême droite : pour quelques-uns, cela n’allait plus de soi. Dans le contexte électoral, des assos sportives craignaient que cela ne soit clivant. Pareil pour la dénonciation de l’homophobie : des assos proches du Modem rechignaient à critiquer François Bayrou alors qu’il est désormais à la tête des mêmes ministres ultra conservateurs que Michel Barnier. Quant au Collectif Éros, ce n’est que le sommet de l’iceberg : des gays tentés par la droite de la droite, il y en a de plus en plus. On réfléchit à des façons de garder le lien avec eux mais c’est délicat : nous restons mobilisés contre le fascisme et nous refusons le dialogue avec l’extrême droite. Nous pouvons seulement rappeler que voter pour le RN, c’est adhérer à tout un bagage idéologique et pas seulement à quelques idées. »


FASCIST PRIDE


Alors comme ça, les droitard·es ne seraient pas gay friendly ? Au Collectif Éros, on aime affirmer le contraire ou, au mieux, on relativise. Thomas Daouze de Rodoüan, autre pilier de l’association, soutient n’avoir rencontré aucune hostilité quant à son orientation sexuelle depuis qu’il est investi auprès de Reconquête. « Il y a tellement d’homos parmi les militants et dans l’entourage d’Éric Zemmour que c’en est devenu une blague entre nous : on a rebaptisé le parti Requéquette, s’amuse l’aspirant journaliste de 25 ans. J’en ai discuté avec Marion Maréchal : elle est catholique, attachée aux traditions, mais elle n’a rien contre l’homosexualité. Il n’y a pas de retour de bâton conservateur à craindre de ce côté-là. Bien sûr, il y a quelques siphonnés du bulbe dans les groupuscules type GUD ou Remparts, mais c’est une infime minorité. » Yohan Pawer reconnaît d’ailleurs être la cible de cette frange identitaire qui ne lâche rien sur l’homosexualité – et dont sont issus certains députés RN. « Je combats aussi ces groupes-là, assure le président d’Éros. Mais le gros des attaques que je reçois en ligne vient de la gauche et non pas des identitaires. Quant à Reconquête, il m’est arrivé de faire changer d’avis certains de leurs militants qui se pensaient homophobes. Notamment un cadre qui me considérait initialement “illégitime” pour lutter avec eux et s’est ravisé par la suite. J’ai aussi eu l’occasion de discuter avec Bruno Retailleau des Républicains : il est très engagé pour la défense des homosexuels. »


Pour l’heure, notre ministre de l’Intérieur ne s’est pas distingué par son activisme pro-gay : en 2021, il vote même contre l’interdiction des thérapies de conversion au Sénat. Depuis octobre 2024, le Journal officiel l’annonce pourtant en charge de « la lutte contre les discriminations liées à l’orientation sexuelle et au genre ». Sans rire. Dans les faits, les appels de phare de la droite dure à l’adresse de l’électorat LGBT+ demeurent modestes et peu nombreux. Si rien ne figure dans le programme du RN, Marine Le Pen les a multipliés à l’oral ainsi qu’en plaçant de nombreux gays dans ses rangs. « En 2012, le média communautaire Têtu a sondé les candidats à la présidentielle sur la question gay, se rappelle Didier Lestrade. Le journaliste qui s’en chargeait m’a confié que la seule candidate qui avait préparé un discours construit sur le sujet, c’était la présidente du RN. » Chez Reconquête, on n’en est pas encore là. En 2022, plusieurs assos et historien·nes ont porté plainte contre Éric Zemmour pour négationnisme : il soutenait que la déportation d’homosexuel·les sous l’Occupation était une « légende ». Quant à l’intégration d’homosexuel·les dans leurs forces visibles, ça bégaye quelque peu. Yohan Pawer s’est bien trouvé suppléant sur une liste du parti dans le Val-de-Marne aux législatives de 2022, puis convié à l’université d’été de Reconquête en 2024.


« NO TRANSARAN ! »


Si leur cheval de bataille numéro un demeure l’islamisme, un autre sujet occupe beaucoup de bande passante chez les gay patriotes : les droits trans et l’identité de genre. Les membres d’Éros ne se lassent pas de houspiller et de parodier les revendications en la matière, et jubilent sur les premiers décrets anti-trans de Donald Trump. Marguerite Stern, ancienne FEMEN, s'était un temps engagée contre la Manif pour tous avant d'adopter des positions anti-trans. Dans le monde anglo-saxon, deux structures gays très relayées portent également cette cause : Gays Against Groomers aux États-Unis et la LGB Alliance au Royaume-Uni. Ces organisations font du pied aux partis conservateurs, développant un argumentaire qui rappelle celui qui, jadis, condamnait les homosexuel·les : considérer l’identité de genre comme une maladie et insister sur la nécessité d’en préserver les enfants. L’Inter-LGBT connaît bien ce phénomène. « Il y a quinze ans, homos et trans étaient attaqués en bloc et s’unissaient dans la lutte pour leurs droits, retrace James Leperlier. Mais depuis que les homos ont obtenu les leurs, cela a coupé tout effort d’empathie chez certains. Il est devenu facile de se dire “je n’y comprends rien et je ne suis pas concerné”, et de se désolidariser. »


Hélas, être concerné·e ne suffit pas toujours à susciter l’empathie. Dans un café du XVIe arrondissement de Paris, Thomas Daouze de Rodoüan se confie spontanément sur la « dysphorie de genre » dont il a souffert étant préadolescent. « Dès l’enfance, j’étais une fille manquée, se souvient-il. Je m’identifiais aux personnages féminins dans les films ou les jeux vidéo et j’avais mon corps en horreur. Le montrer me rendait malade au point qu’il a fallu qu’on m’attribue un vestiaire personnel pour les entraînements d’EPS. C’est une souffrance psychologique. Puis, à la puberté, avec mes premières expériences sexuelles, ça m’est passé, je me suis réconcilié avec mon corps. C’est donc possible. Si j’avais grandi aujourd’hui, on m’aurait peut-être encouragé là-dedans. » Thomas précise être issu d’un milieu « aristocrate mais pas conservateur » et rejeter la « transphobie crasse ». Toutefois, pour lui, les questions de genre n’ont rien à voir avec celles d’orientation sexuelle : « On mélange tout. » Aujourd’hui, il écrit un roman de fantasy, admire Trump et s’exclame « Rest in peace ! » en évoquant Jean-Marie Le Pen.


ET SI ÉDOUARD LOUIS ÉTAIT DE DROITE 


L’apprenti auteur de fantasy fait partie des cinq compères qui se sont mis en scène dans la vidéo de lancement du Collectif Éros en début d’année. Guidé par Yohan Pawer, le groupe y apparaît en train de tracter et de battre le pavé dans le centre de Paris, plus déterminé que jamais. Tout ceci prêterait à sourire si la vidéo n’avait pas récolté trois millions de vues et attiré autant d’adhésions. De quoi dépasser le trolling auquel le collectif s’est naturellement exposé. L’essentiel, pour eux, est de réveiller la « majorité silencieuse ». Majorité ou non, les centaines d’entretiens qu’ils ont menés dans le cadre de leur campagne racontent une certaine évolution de la France LGBT+ – ou du moins LGB. « Je craignais de me retrouver avec une majorité de profils bourgeois, confesse Pawer. Mais ça n’a pas du tout été le cas. » Parmi les candidat·es : des hommes de tout âge et de tous milieux sociaux – « un archéologue, des policiers, des médecins ». Plus surprenant encore, plusieurs femmes, alors que les lesbiennes sont réputées être d’incorruptibles gauchistes. On y trouve également une personne séropositive depuis vingt-cinq ans et un amateur de partouzes et de chemsex. « C’est ta vie privée, tant que tu es réglo dans le collectif, il n’y a pas de souci », lui a assuré Yohan. Un profil plus commun émerge aussi. Dimitri Elleboode, 28 ans, pourrait l’incarner. Il travaille dans l’industrie et vit dans une commune de 10 000 habitant·es près de Dunkerque. Dans cet environnement modeste, « les gens ne savent même pas ce que c’est que les wokes ». Il évoque une agression homophobe subie dans un quartier sensible à Lille il y a quelques années et un passé militant au sein de la cellule RN de sa région, « où j’ai toujours pu m’ouvrir sur ma sexualité ». Son parcours rappelle celui d’Édouard Louis, le célèbre romancier gay issu du Nord ouvrier et coqueluche de la gauche culturelle. Avec un virage à droite en plus.


Phénomène marginal jusqu’à récemment, la droitisation chez les homosexuel·les constitue désormais une tendance à prendre en compte. Bien que les données manquent sur le sujet, la sociologie commence à s’y intéresser, cherchant à comprendre les mécanismes qui l’ont permise – notamment la négociation de l’appartenance simultanée à une minorité sexuelle et à un parti qui lui est hostile. Laud Humphreys, pionnier américain de la recherche en sexualité, invoquait dès les années 1970 la théorie de la « cuirasse de vertu » : l’adoption, par compensation, d’opinions ultra-conservatrices et d’un comportement exemplaire chez des individus perçus comme déviants par la société. Mickaël Durand, chercheur engagé sur ces questions, a mené des entretiens avec des gays de droite au cours des dix dernières années. Il analyse comment ces derniers mettent à distance leur orientation sexuelle au profit d’autres causes. Yohan Pawer en fournit un exemple parlant : « Je serais prêt à sacrifier un ou deux de mes droits tant qu’on lutte contre l’immigration de masse. Le mariage, par exemple, peu m’importe. » D’autres voix plus engagées livrent une lecture fataliste du phénomène. Pour Mickaël Tempête, auteur de La Gaie panique – Une histoire politique de l’homophobie, il s’agit de l’aboutissement d’une « dépolitisation du sujet LGBT ». « En s’institutionnalisant depuis les années 1980, observe-t-il, le mouvement s’est concentré sur quelques demandes louables tout en en expurgeant d’autres. Or, celui-ci portait d’autres formes de vie et d’expression politique. Mais en misant tout sur l’obtention des droits, les LGBT se sont enfermés dans un espace juridique et ont ainsi laissé naître des formes de compatibilité entre politiques progressistes et conservatrices. » Et par les temps qui courent, ces compatibilités ne cessent de proliférer. La dernière en date ? L’émergence d’une parole réactionnaire, voire raciste, chez certaines personnalités trans. Après Caitlyn Jenner, membre du clan Kardashian et fervente trumpiste, voici Karla Sofía Gascón. La star trans espagnole du film à succès de Jacques Audiard, Emilia Pérez, a récemment été épinglée pour de vieux tweets islamophobes et critiques envers le mouvement Black Lives Matter. Bien qu’elle s’en soit excusée, le mal est fait. Un coup d’œil sur Instagram révèle également un immense réseau international de droite gay, animé par des figures comme le stand-uppeur canadien pro-Israël et ultracapitaliste Daniel-Ryan Spaulding. De quoi inspirer les militants du Collectif Éros, qui poursuivent tranquillement leur lobbying dans les cercles de la droite dure.Sur la rive gauche parisienne, dans un bar appartenant au superflic gay d’extrême droite Bruno Attal, la clique festoie avec les chroniqueurs de Touche pas à mon poste et des cadres de partis. À venir dans leur croisade : un tractage pour dénoncer « l’idéologie du genre » devant une école du Marais et l’ouverture d’une cellule au Québec, « berceau des wokistes ». Yohan Pawer part même rencontrer des alliés à l’étranger, notamment l’influenceur américain Infosavage, célèbre pour sa vidéo où il déchire un drapeau arc-en-ciel. La conquête de la minorité LGBT+ – environ 10 % de la société française d’après IPSOS – serait-elle l’un des derniers marchepieds de l’extrême droite vers le pouvoir ? Tout porte à le croire. « Au moins, à mon époque, personne ne nous instrumentalisait », regrette Didier Lestrade, un brin nostalgique.



Texte : Thomas Corlin

Illustration : Antoine Bonnet, pour Mouvement


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