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Comment définissez-vous le flamenco ?

Comme une expression artistique d’origine populaire et festive, venue d’Andalousie et issue des population gitanes. Le flamenco naît d’une rencontre et ne cesse de se nourrir de croisements. Traditionnellement on parle d’une pyramide : chant, danse, guitare. On raconte que quelqu’un se serait mis à chanter ses peines et qu’un jour une danseuse serait passée par là.  L’histoire du flamenco se transmet oralement, ses origines sont très mystifiées et plutôt floues. Mais l’histoire que je me raconte, c’est qu’au XVIIIe siècle, les gitans ont dû trouver d’autres manières de parler leur langue, à travers l’art. Si l’édit de Carlos III leur proposait de devenir des citoyens espagnols et de se sédentariser en Andalousie, ils devaient en contrepartie abandonner leur langue.


Pourquoi avez-vous été attirée vers cet art ?

Je suis petite fille d’émigrés espagnols, mon grand-père a combattu et fui la guerre civile en 1936. Ma mère était professeur d’espagnol. L’Espagne a toujours été présente dans ma famille, mais pas le flamenco. C’est Franco qui a remis cet art au goût du jour afin de vendre une certaine image fantasmée du pays. Ma famille ne comprenait donc pas que je m’y mette, pour eux c’était réactionnaire, limite facho. Mon père m’a même dit que j’allais finir danseuse dans une sombre taverne. Peut-être que je suis entrée là-dedans pour défier mes parents. À l’époque j’étais étudiante en droit et je ressentais un manque. Je ne trouvais pas de réponse à la grande question qui m’agitait : qu’est-ce que l’art. Et puis j’ai passé la porte de l’atelier d’Isabelle Soler, professeur de Flamenco à Toulouse. Et cette question a arrêté de me tourmenter. Ça a été le coup de foudre, artistique et humain. C’est une femme extrêmement cultivée, d’une élégance rare. Encore aujourd’hui à plus de 80 ans, lorsqu’elle parle, ses mains dansent. Mais l’apprentissage était très dur, elle soufflait le chaud le froid.


Vous avez fini par abandonner le droit. Après trois ans chez Isabelle Soler, vous êtes allée vous perfectionner à Séville. Comment s’est déroulé votre apprentissage dans ce berceau du flamenco ?

Je suis arrivée avec seulement deux sacs. Quand je suis arrivée à l’académie de Triana, à Séville, on s’entrainait dans des petits studios miteux, avec des murs à la chaux, des planches de contreplaqué sur un sol en béton qui faisait mal aux genoux. Aujourd’hui c’est devenu le Disneyland du Flamenco ! Au départ j’étais au fond de la classe. Pendant longtemps je me suis sentie minable, mais petit à petit je suis passée devant. Puis on m’a embauchée dans un « tablao » professionnel. C’est une sorte de cabaret, souvent petit, où on danse tous les soirs avec des danseuses, un ou deux danseurs, des chanteurs et des guitaristes. Tout était acoustique, des solos s’enchainaient, puis on performait une danse de groupe ou un chant en chœur. J’ai fini par rester huit ans à Séville…


Le flamenco, c’est un art improvisé ou bien écrit ?

C’est la grande question ! Disons que c’est faussement improvisé. Dans les films de Lola Flores des années 1950 à 1960, la danse était moins écrite. Mais aujourd’hui c’est extrêmement travaillé, très technique. Dans les tablaos, tu danses tous les soirs, avec un seul jour de congé par semaine. C’est épuisant, mais tu es là pour repousser tes limites physiques. Personnellement, je cherche à les dépasser pour court-circuiter mon esprit et pour que mon corps prenne les commandes. Cet instant-là n’arrive pas tout le temps, mais, dans le fond, on attend toutes et tous ça. Prendre le chemin du flamenco, pour moi, c’était faire un trajet vers le corps.



Dans votre création, Gradiva, celle qui marche, vous semblez déclarer votre flamme au flamenco. Quelle est la place de l’amour, de la séduction et de l’érotisme dans cet art ?

On dit parfois que la femme incarne la pulsion et que le flamenco est l’art de la tension maitrisée. Quoi de plus érotique ? Mais cet érotisme n’est pas assumé, on n’en parle absolument jamais. Tout ça est sous la robe, caché, mais à l’intérieur, c’est l’incandescence. Si j’aborde ces questions, c’est en lien avec la psychanalyse, qui infuse mes pièces. Gradiva, celle qui marche est une déclaration d’amour sur les lambeaux du Flamenco : parce que je l’ai fait puis défait avec beaucoup de tendresse.


Comment avez-vous justement défait le Flamenco traditionnel que vous avez appris à Séville ?

Je dis souvent que le flamenco est ma chambre. Quand je suis revenue à Toulouse, je n’avais pas de lieu pour danser et personne ne voulais me louer une salle parce que je faisais trop de bruit avec mes chaussures. Puis je suis tombée sur une ancienne salle de bal, un très beau lieu où on dansait pendant la seconde guerre mondiale. J’ai fait le pari un peu fou de le rénover et de fonder une école de Flamenco : la Fábrica Flamenca. C’était une manière de m’approprier cette matière, d’éprouver ma solitude pour, peut-être, un jour, en sortir. J’ai vraiment un lien particulier avec ce lieu dans lequel je me suis abritée et dans lequel je me suis reconstruite. Dans Gradiva, celle qui marche je voulais emmener les gens dans cette chambre et dans la renonciation au fantasme de la Flamenca. En tant que femme, on te propose d’être soit la Vierge soit la Flamenca. Il n’y pas d’entre deux, il n’y a pas d’image d’une femme ordinaire, avec une bouillote au lit, un thé et son chat. Sur scène, sans robe, avec un pantalon noir de torero, dans un espace vide, en dansant et en racontant mes histoires, j’avais envie de réconcilier les extrêmes par la figure de Gradiva qui me hante depuis très longtemps, cette femme qui marche de profil. Et qui ne fait que passer.


Propos recueillis par Léa Poiré


> Gradiva, celle qui marche de Stéphanie Fuster a été crée au Théâtre Garonne, Toulouse ; du 4 au 8 octobre au Montfort, Paris ; les 17 et 18 janvier 2023 au Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines