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Dans vos pièces Ruines et Douve la question de l’architecture se manifeste par un travail de l’espace ou une réflexion sur l’héritage. Dans Turbulence comment vous êtes-vous, cette fois-ci, emparée de ce patrimoine médiéval ?

« J’utilise le champ lexical de l’architecture et du médiéval mais je ne fait pas des pièces sur le patrimoine, davantage sur les traces. Dans Turbulence l’idée c’était d’investir un lieu historique avec une certaine notion du présent voire du futur : comment tu t’empares d’un lieu pareil et avec quelle distance historique ? Pour répondre à cette question, j’ai commencé par visiter le lieu qui est massif. Mon idée a tout de suite été de multiplier les points de vue, de travailler les échelles, les mises en perspective et réécritures. J’avais envie de sentir que la danse s’était emparée du lieu.

 

Une introduction didactique sur l’utilisation des casques nous amène ensuite dans une matière abstraite. À ce titre, Sylvain Riejou joue un rôle un peu spécial...

« C’est un peu le Stéphane Bern de la danse contemporaine ! J’utilise beaucoup de légèreté et humour dans tout ça, la voix de Sylvain Riejou nous guide de A à Z même si on la perd pendant tout un temps.

 

Une visite de château peut se faire avec un audioguide, votre dispositif pourrait t-il s’y apparenter ?

« Le point de départ est de rassembler toute la parole autour de la danse : la critique, la transmission, l’audio description, ce qui se dit en cours de danse, de techniques somatiques, ou une parole plus poétique. Ce qu’on a dans les oreilles n’est pas vraiment un audioguide, c’est une partition, une vision. Il s’y trame de façon un peu abstraite une idée de ce que pourrait être la danse du futur, à partir notamment des écrits d’Isadora Duncan [chorégraphe pionnière de la danse moderne, caractérisée par des influences helléniques et une libération du corps – Ndlr] et sa Danse de l’avenir.

 

À un moment précis, le guide parle des subventions, des conditions d’écriture et de création aujourd'hui, cela sonne comme un peu comme un ras-le-bol. Est-ce le cas ?

« Je suis partie d’Albert Camus, qui parle de l’engagement de l’artiste dans le monde, et de “la prière de l’artisan” qui est une prière chrétienne glorifiant le travail. J’ai transformé tout ça en une “prière de l’artiste” qui doit demander des subventions, gérer les pressions, un peu comme un manifeste des conditions de la danse et de l’art en général. Une partie un peu effrontée raconte : “Rappelle moi qu’on crée une œuvre en huit semaines, qui doit s’adapter à tous les lieux.” C’est en quelque sorte la recette de la chorégraphie qui va fonctionner et qui sera diffusée comme il faut.

Plus ça va, plus je me rends compte que ça ne m’intéresse plus de répondre à ces objectifs imposés, car en sous texte on nous demande finalement de faire des spectacles formatés et pas réellement ambitieux. D’un autre côté les pièces participatives et le travail avec les amateurs est très demandé par les politiques. J’ai donc trouvé cette échappatoire qui me donne énormément de liberté quand d’un coup je peux faire un spectacle comme Turbulence avec 100 personnes et qui sera quasiment impossible à reproduire. Il s’agit peut être de se rapprocher d’Isadora Duncan qui a fabriqué une utopie où il y aurait des danseurs partout tout le temps, qui s’emparent des murs, des gens...

 

 

Turbulence présente les performeurs comme des personnages qui ont leurs attitudes, leurs propres gestes. Quelle forme de communauté avez-vous envie de créer ?

« Le discours qui fait tenir ce projet c’est une danse du futur qui réunit toutes les danses, c’est se dire que toutes les danses sont possibles. Les personnages, proposent une danse du futur qui ne souffrirait ni d’enjeux esthétiques, ni de querelles, dans une ouverture telle qu’il n’y aurait pas de danse plus has been ou plus recevable qu’une autre. J’ai eu envie de pouvoir citer et transformer l’histoire de la danse ancienne ou contemporaine sans aucun complexe. Par exemple, Lise Vermot au rez-de-chaussé improvise à la manière de Valeska Gert, Yoann Hourcade imagine une danse libre futuriste connectée à la nature, Benjamin Forgues lui, citait une chorégraphie de Béjart, Le clown de dieu, dans une battle avec une danseuse de voguing. Même dans la réflexion des costumes, on a grossit les traits de chacun des danseurs soit en allant dans le sens de leur personnalité et de leur danse, soit à l’inverse.

 

C’est une façon de renouveler votre vocabulaire. Est-ce aussi un tournant dans votre parcours ?

« Turbulence correspondait à un besoin pour moi, mais c’est un tournant qui se tramait depuis longtemps. J’ai rassemblé dix danseurs qui me font fantasmer artistiquement et on a travaillé ensemble des personnages traversés par le glamour, l’empowerment, des performances de cabaret, le voguing. Pour moi, le travail avec les amateurs représente une humanité.

 

À la fin de Turbulence, presque la totalité du public a continué de danser dans la chapelle sur la musique d’Axel Rigaud. Comment avez-vous réussi à faire bouger une foule jusqu'à minuit ?

« Mon sujet premier n’était pas la fête, mais c’était de voir comment créer de l'immersion autrement, au delà de l’introspection au casque. La danse et le geste dans cette seconde partie immergent, voire submergent. Les danseurs sont dans une partition de dépense énergétique très pulsée, mais je n’avais ni envie de forcer les gens à danser ni de les mettre dans une situation de spectateurs. Il y a d’ailleurs un moment très doux où les performeurs s’enlacent au sol et invitent les visiteurs à s’approcher, se rassembler. Cette partie m’émeut beaucoup, on dirait Woodstock.

 

Vous avez toujours eu un discours sur le sacré, cette partie jubilatoire se passe dans la chapelle, qu’est ce que cela implique pour vous et les visiteurs ?

« La chapelle réunit tous les personnages après une heure de déambulation et de solitude. Quand le public y arrive c’est une procession menée par une sorte de divinité mystique la danseuse Aurore Godefroy, le son lourd et bourdonnant fait vibrer les vitraux. C’est d’un côté très ritualisé mais aussi très naïf.

Exprimé adroitement ou non dans mes projets, mon discours sur le sacré est presque lié à des discours de Malraux ou Camus sur le fait que l’art est là pour recréer du sens dans le monde. De la même façon que la religion qui, à un moment donné, donnait un sens à l’existence, avant de laisser place à des dogmes. Pour moi, ce n’est pas anodin de créer. L’art a du sens et donne du sens. La danse est garante de valeurs de solidarité, de démocratie, c’est par exemple un art très doué dans la médiation, plus que la musique contemporaine par exemple. Il y a une forme de simplicité à parler du corps, c’est un art direct. Pour certaines formes de danses il est possible de ne partir d’aucune connaissance pour y avoir accès.

 

> Le festival June Event organisé par l’Atelier de Paris a eu lieu du 2 au 22 juin à Paris et alentours, Turbulence sera présenté en juin-juillet 2019 à la Commanderie des Templiers de Saint-Quentin en Yvelines

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