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En peignoirs immaculés, serviettes éponges autour du cou, lunettes de plongée vissées sur le crane, cheveux mouillés, bandeaux absorbants autour de la tête, culotte courte, gants et polos blancs, le turbulent duo se tient prêt à maintenir en haleine les spectateurs pour 1h45 de performance. Dans un espace arrondi d’un gris carbone éclairé par la luminescence tantôt douce tantôt puissante de néons, Marlène Monteiro Freitas et Andreas Merk perturbent le cadre de scène tout autant que notre imaginaire. Zoo, court de tennis, place de carnaval, terrain de jeu, piscine ou salle de sport, leur environnement se transforme avec la rapidité des changements de décor d’un théâtre populaire de marionnettes.

En entrant dans la salle pour se faire une place dans les gradins, sur le plateau la partie a déjà commencé. Tout droit sortis d’un cartoon en deux dimensions, mâchoires en avant et manches à balais entre les mains, nous faisons la rencontre d’un couple se déplaçant par petits pas sur un tempo reggae. Leurs yeux sont exorbités, leurs trais hyper maquillés. Sourcils noircis et allongés, bouches rouges largement épaissies, voici deux personnages, apeurés, spontanés et éminemment naïfs, qui puisent leur qualité de mouvement et leur comportement tantôt dans les Contes d’Hoffman, le carnaval Capverdien ou aux sources de l’art brut avec les travaux d’Adolf Wölfli, peintre autodidacte pensionnaire d’asile psychiatrique. Cet art d’outsiders n’est pas la seule référence picturale de Jaguar, sur scène un grand cheval azur ne peut qu’invoquer le bref mais influent mouvement expressionniste du groupe le Cavalier bleu. À la fois totem ou porte serviette le duo n’hésitera pas à mettre en pièce l’animal.

Photo : Uupi Tirronen Zodiak. 

Le bruit de la pluie rythme la pièce entre deux sambas, une musique lyrique, David Bowie et le Sacre du printemps. Salissante et saisissante, Jaguar déploie image par image un cadavre exquis grotesque qui fait de l’errance comme du désordre sa matière première. L’ingénu duo nous fait ainsi reconsidérer les limites de l’imagination, de dos, penché en avant, bras vers le public et serviette couvrante sur les fesses si bien qu’elle dissimule toute trace de leurs têtes, les interprètes se transforment en mini-fantômes. À un autre moment, tous les deux assis sur le petit escalier d’acier au centre de l’espace, ils collent leurs visages et leurs bouches béantes pour ne former qu’un.

Les interprètes se déguisent sans se poser de questions, ils cherchent les mouches, s’abritent, louchent, parfois se perdent. Exubérante et tonitruante, Marlène Monteiro Freitas crée dans Jaguar une espèce aux instincts voraces qui ose, se salit, crie, singe. Le titre de la pièce nous avait alerté, comme dans un zoo on observe deux drôles d’animaux qui semblent danser sans se soucier des visiteurs.

À moins qu’ils ne rodent avec eux, les spectres de la poupée automate d’Hoffman, la folie des peintres d’art brut, et les égos des cavaliers bleus sont ils les proies de ces deux fauves grinçants et grimaçants ? Jaguar sans crier gare, est une partie de chasse dans laquelle tout peut arriver, « une scène de chasse hantée » selon Marlène Monteiro Freitas, où les danseurs, primitifs et candides, semblent seulement être les prédateurs de nos propres préjugés.

 

 

Jaguar de Marlène Monteiro Freitas a été présenté le 14 juin à l’Atelier de Paris ; les 31 août et 1er septembre au Theaterfestival, Basel ; le 6 octobre au Cuvier, CDC Artigues ; en novembre à l’Échangeur, Château-Thierry (festival C’est comme ça) ; au festival Art danse Dijon en janvier 2017 ; aux Hivernales d’Avignon en février 2017 ; à la biennale du Val de Marne en mars 2017.

 

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