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Douze danseurs, certains vêtus de rouge, d’autres de noir, évoluent avec précision en esquissant des diagonales dans leurs corps et dans l’espace. Portés par la musique d’Anton Webern jouée par l’Orchestre de l’Opéra National de Lorraine, ils déploient une géométrie fluide, propre à la danse de Trisha Brown. Avec cette pièce de 1996, la chorégraphe emblématique de la danse post-moderne, remarquée pour son affection pour les gestes simples et l’expérimentation, signe le deuxième volet de son « cycle musical ». Auparavant adepte du silence, elle tente dans ce nouveau chapitre d’écrire avec la musique. Le titre, Twelve Ton Rose, est d’ailleurs un jeu de mot qui fait référence à la musique dodécaphonique (twelve ton rows en anglais) de Webern. Dans les corps du Ballet de Lorraine, qui suivent cette musique atonale ou jouent avec ses contrepoints, on retrouve aussi les recherches de Trisha Brown autour de l’accumulation des gestes, du relâché du corps ; et son écriture virtuose qui trace des lignes et des courbes dans l’espace, puis les efface pour dessiner de nouvelles formes, inlassablement.

 

Twelve Ton Rose de Trisha Brown par le Ballet de Lorraine p. Laurent Philippe

 

Accumuler et épuiser

Place à Decay, de la chorégraphe contemporaine Tatiana Julien, qui contrairement à Trisha Brown ne compte pas faire dans la sobriété. Vingt-cinq interprètes prennent la pose dans un nuage de fumée. Ils sont vêtus d’une myriade de costumes différents, dénichés dans le fond du Ballet de Lorraine : du tutu en plume blanc du Lac des Cygnes, au justaucorps noir à manches longue façon jazz, en passant par une tenue beige qui évoque le Faune de Nijinsky. Un ensemble d’archives de danse qui dialoguent avec l’air triste « When I’m laid in earth » du Didon et Énée d’Henri Purcell – musique emblématique du déchirant Café Müller de Pina Bausch – qui se fait entendre dans la composition musicale de Gaspard Guilbert. Toutes ces références surgissent à rythme frénétique et chacun déploie avec fantaisie un mouvement, qui évoque là un ballet, ici un style de danse pastiché. Car Tatiana Julien accumule elle aussi les gestes. Mais alors qu’ils se déplient avec une simplicité organique dans Twelve Ton Rose, ils sont affectés et quasi grotesque dans Decay. Des masses de corps se forment sur la scène, parfois agités par une excitation soudaine et enveloppés dans une atmosphère de plus en plus inquiétante. Dans Decay, tout ralentit et se délite. Conférant à la scène une dimension picturale, un spot blanc qui s’est décroché du plafond balaye les corps et laisse une douce apocalypse envahir le plateau. En miroir de Trisha Brown, Tatiana Julien fait le choix de décélérer la danse : aujourd’hui les gestes s’épuisent, peut-être autant que les imaginaires.

 

> Twelve Ton Rose de Trisha Brown et Decay de Tatiana Julien avec le Ballet de Lorraine ont été présentés du 2 au 6 mars à l’Opéra de Lorraine, Nancy

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