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Un certain frisson de curiosité traversait l'opéra Bastille pour la première de la reprise du Tristan et Isolde de Wagner, retravaillé à la serpe minimaliste par le metteur en scène Peter Sellars et le « vidéaste des passions » Bill Viola. Depuis ses premières représentations en 2005, la relecture du célèbre drame romantique a semble-t-il acquis sa petite légende dans la sphère lyrique, confirmée par les réactions à vif de la salle ce soir-là.


Le récit de cette destinée tragique prend donc place autour d’un rectangle noir sur fond noir, parti pris d’épure en rupture avec les habitudes plus baroques de Peter Sellars, mais en harmonie avec l’art de Bill Viola. C’est ce seul volume qui assurera la fonction de mobilier sur cette scène où même les accessoires seront prohibés. Un immense monochrome le surplombe, où défilera la composition visuelle de Viola. À cette sècheresse répond la grande économie de mouvements, sinon l’immobilité, des comédiens, qui puiseront dans ce peu d’éléments une intensité dramatique aigüe durant la totalité du spectacle.


Édifice démesuré en fond de scène, l’écran déverse quatre heures d’images empreintes de culture classique européenne, et de cette exaltation émotionnelle propre au cinéma qu’explore Bill Viola depuis 1995, date à laquelle il délaisse l’esthétique DIY de ses premières vidéos. Au fil de ces visions grandioses et du flot méditatif qui les distribue, c’est l’imaginaire des toiles de maîtres anciens qui resurgit, et toute une symbolique s’étalant de la mort à la résurrection. Si le dispositif peut paraître glacé, l’artiste américain prend soin de l’augmenter d’un travail troublant autour des textures et des résolutions qui assure probablement ce que l’historienne de l’art France Jancène décrivait comme une « vie charnelle des images » à son sujet. Campés à l’écran par d’autres comédiens que ceux présents sur scène, des Tristan et Isolde atones prennent la forme de corps célestes suspendus dans l’atmosphère, pris dans un long traveling quelque peu menaçant. Omniprésent, l’élément aquatique les enveloppe et diffuse une ambivalence sur le premier acte – une possible résurrection ? – qu’un feu ondulant viendra recouvrir sur le second.


© Vincent Pontet  

Pendant ce temps dans la fosse, la direction musicale de Gustavo Dudamel conserve sa sensibilité tout le long de cette vertigineuses partition de boucles ascendantes puis descendantes, porte une attention rare aux chanteurs, jusqu’aux seconds rôles. Ceux-ci alternent entre maîtrise et fragilité et nourrissent une riche météo émotionnelle, marquée tantôt par la longue plainte du roi Marke (Eric Owens), ou les vibrations d’un Kurwenal immobile, interprété face au public par Ryan Speedo Green, dont l’amplitude de la respiration suffit à déplacer des montagnes de lyrisme.


Hélas, le dispositif se grippe par un petit manque d’étincelle humaine sur scène, compliquant l’identification du spectateur à la tragédie. Le déséquilibre entre la puissance vocale de Michael Weinius (Tristan) et la pauvreté de son jeu, mais surtout le manque d’implication de Mary Elizabeth Williams, qui semblait absente à la passion amoureuse d’Isolde, auront raison d’une partie du public, qui chahutera copieusement la chanteuse dont c’étaient ce soir-là les débuts à l’Opéra National de Paris


> Tristan et Isolde de Bill Viola et Peter Stellars les 23, 26 et 29 janvier et les 1er et 4 février 2023 à l'Opéra Bastille, Paris 


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