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Avec un titre pareil, on était prévenus. Il serait question de domination masculine et de son corollaire : la violence. Ça n’empêche pas la douche froide. On pensait savoir, avoir tout vu, tout entendu, être au courant. On se mettait le doigt dans l’œil. « Tu fais toujours un sourire un débile quand tu danses », « ton regard d’ashkénaze coincée du cul », « t’as tes règles ou quoi ? », « t’expliques mal le féminisme », « je vais me suicider ». Insulte, menace, mépris, humiliation, chantage, mainsplanning, durant trente longues minutes, il en va, dans les enregistrements diffusés, de tous les registres. Souvent seule sur scène à braver l’avalanche de ces paroles, Ruth Rusenthal vaque à ses occupations quotidiennes le regard triste, entre les quelques objets qui rappellent un appartement presque ordinaire.


Ce n’est pas de la fiction. Avant que Patriarcat, vivre en confinement éternel ne devienne une pièce de théâtre, elle s’apparentait à une performance intime, minutieuse et silencieuse de Ruth Rosenthal. Pendant des mois, elle a consigné la façon dont la misogynie, tantôt ambiante tantôt infernale, infusait les propos de son compagnon. Et puis un jour, elle lui a montré. Beaucoup de couples auraient sans doute signé là leur arrêt de mort ; les Winter Family, eux, ont mis ces propos en musique et en ont fait la matière première de leur nouveau spectacle. À l’heure des communiqués de presse officiels démentant ou euphémisant, cette honnêteté crue force l’admiration.


Elle nous engage aussi au courage. Car il en faut, du courage, pour affronter sans vaciller ce spectacle qui pousse, par de savants jeux de boucles sonores et de saturation, l’agression verbale à son paroxysme. Ceux qui connaissent le travail de Winter Family ne seront pas décontenancés : pièce après pièce, ils creusent les logiques de la violence, qu’elle prenne le visage de la manipulation émotionnelle étatique (Jérusalem Plomb durci), de l’overdose de récits contradictoires à la puissance performative (H2 Hébron), de la schizophrénie de la société capitaliste occidentale (No World/FPLL). Cette fois, c’est par le versant de l’intime qu’ils entament leur ascension, tentant, une fois encore, moins de nous faire comprendre (est-ce possible ?) que de nous faire sentir.


Sorcières 

Si ce sont ses propos que l’on entend, réenregistrés et remixés en bandes sonores, Xavier Klaine ne parle jamais vraiment seul. Il prête son corps à quelque chose de plus sourd, de plus profond, comme s’il acceptait de se faire, le temps d’un spectacle, l’Oracle du Patriarcat. Voici le renversement de pensée opéré par la révolution féminise : l’oppression des femmes est un système politique qui demande des réponses politiques, mais il s’ancre en chacun.e de nous, dans nos mots, dans nos foyers, quand nous avons peur de dire, quand nous refusons d’entendre, quand nous laissons faire. 


Pendant toute la première partie du spectacle, Ruth Rosenthal reste presque muette, mais quelques gestes trahissent la rage qui, comme le volume sonore, monte graduellement. Lorsque l’on porte à la scène un sujet aussi brûlant, c’est dans l’espoir que quelque chose se transforme. Et la métamorphose surgit bel et bien. Mais lorsque LA femme prend enfin la parole dans une mélopée hypnotisante qui fait vrombir nos entrailles, une pointe de tristesse se fait sentir. S’il n'est pas question de nier l'importance de la convocation des figures de sorcières dans les élans récents, et plus historiques, de mobilisation féministe, on s’interroge : n’y aurait-il pour autant de puissance féminine que magique ? Patriarcat fout la rage, gonfle d’énergie revendicatrice, et pour longtemps. Espérons que celle-ci ravive aussi de nouveaux imaginaires. Le mot « femme » est plus riche au pluriel.



> Patriarcat de Winter Family, du 21 au 23 septembre au CDNO, Orléans ; 28 septembre au 9 octobre à la MC93, Bobigny ; les 12 et 13 octobre au Lieu unique, Nantes ; du 16 au 19 novembre au TNB, Rennes