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À Château-Thierry, commune picarde – devrait-on dire Haut-Française ? – qui a vu naître Jean de la Fontaine, la journée commence tôt, et avec un stage. Dans l’ancienne usine de biscuits Lu, reconvertie aujourd’hui en fabrique culturelle, l’échangeur a progressivement installé depuis 2006 une salle de spectacle et deux studios de répétitions. Dans l’un d’eux, l’analyste du mouvement Nathalie Schulmann twist les mouvements et les esprits des stagiaires en leur faisant travailler des coordinations inhabituelles.

 

Collections en lutte permanente

En 2013, Sana Yazigi, graphiste syrienne habitant aujourd’hui à Beyrouth, a lancé avec une dizaine d’activistes le site trilingue Mémoire créative de la révolution Syrienne. Avec aplomb elle présente son projet, né de son constat que les crises libèrent des énergies créatives, des actes de résistance artistiques et de révolte culturelle et pose alors la question de la conservation de ces productions. Sana Yazigi parle de son combat en contenant sa colère et ses larmes. Sur un écran de projection elle commente des images, illustrations, banderoles, tags, et phrases d’espoir écrites dans le creux d’une main, qu’elle a glanés sur internet et regroupés sur le site qui compte aujourd’hui plus de 22000 documents. Tel un musée virtuel ces images renouvellent celles souvent macabres que nous cultivons sur le sujet. « Le peuple Syrien massacré par Bashar al-Assad d’un côté et Daech de l’autre n’est pas mort affirme-t-elle. Il continue de créer, de protester, de se risquer et attend une réponse internationale à cette clameur. »

 

Dans l’espace d’exposition la scénographe Bissane Al Charif et le vidéaste Simon Pochet introduisent leur installation documentaire Mémoire de femmes. Sous forme de vidéos, photos et encadrés, nous suivons le portrait et le parcours de quatre femmes syriennes aujourd’hui exilées en Europe et au Moyen-Orient. L’installation narrative traverse leur voyage, la perte du « chez soi », recompose des fragments de souvenirs et s’attache à interroger « l’après ». Question difficile quand leurs envies, leurs projets, leurs rêves de carrière, se sont tous évanouis pour laisser place à la question : serai-je encore en vie demain ?

 

Voyages identitaires

Cap maintenant vers l’espace culturel de Brasles, petite ville voisine, pour observer les transfigurations de Vania Vaneau. La jeune chorégraphe franco-brésilienne est déjà là et nous accueille avec Simon Dijoub, le guitariste de la pièce. Au bord du plateau sont alignés des petits tas d’étoffes, vêtements et accessoires chatoyants. Comme autant de masques ethniques que Vania Vaneau se prépare à incarner. Son visage, déjà, fait transiter un panel d’émotions. Dans un travail de mouvements inspirés des rituels chamaniques, elle enfile un drapé, positionne un masque à l’envers, se pare d’une coiffe papale, ajoute des ailes angéliques, attrape un bambou. Son corps, entrant dans une rotation hypnotique, s’efface derrière l’accumulation de la totalité des artifices dont elle saura ensuite se défaire comme un serpent de sa mue. Tout au long de la pièce l’idée de travestissement et de transition identitaire s’explore jusqu’à venir recouvrir de pigments le corps nu de la danseuse tirant la langue et emprunt de postures de rites initiatiques. Blanc, au titre clin d’œil, met en perspective le point de vue de l’homme blanc, ses parures et artifices, pour révéler la richesse de sa multiplicité et de ses métamorphoses.

Retour à l’usine Lu, cœur bâtant du festival où en soirée des feux de joie dans des bidons ont été allumés dans la vaste cour, pour réchauffer les spectateurs et attiser leurs discussions. Marlène Monteiro Freitas et Andreas Merk, duo de choc hors normes, incendient la scène avec Jaguar. Dans cette pièce que nous prenons toujours plaisir à revoir, soulignons l’audace de la chorégraphe Capverdienne qui réussi à se saisir de références aussi évocatrices que le Sacre du printemps, La nuit transfigurée de Schönberg, ou des racines de l’art brut, pour créer un théâtre de marionnettes animales, mécaniques, subversives et parfois simplement humaines.

 

C’est comme ça ! du 5 au 15 octobre à Château-Thierry et ses environs

Mémoires de femmes, jusqu’au 15 octobre dans la galerie du lycée Jean de la Fontaine (dans le cadre du festival)

Mémoire créative de la révolution Syrienne : http://www.creativememory.org/

Blanc de Vania Vaneau, le 1er mars au Quartz, Brest (DanzFabrik) ; le 23 janvier au Pacifique, Grenoble (Concentré de Danse)

Jaguar, de Marlène Monterio Freitas le 23 octobre à Berne, Suisse (Tanz in Bern) ; en janvier au festival Art danse, Dijon et au Pacifique, Grenoble ; en février au festival les Hivernales, Avignon ; en mars à la Biennale du Val de Marne et au festival Grand bain, Roubaix