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« PLEURE ! », hurle le preacher évangéliste, Bible en main, le visage en sueur à deux centimètres d’une spectatrice tétanisée. Bienvenue au Concours de Larmes. Un long rideau de mousseline blanche forme un ovale autour des spectateurs qui se font face. Ils sont pourtant loin d’être tombés dans un safe-place aseptisé. Durant près de deux heures, Marvin Mtoumo orchestre une série de numéros débridés aux accents tyranniques. Entre cirque et carnaval, théâtre et performance, les Jérémiades, les Lamentations ou la Drama queen redoublent d’ingéniosité pour faire monter les larmes aux yeux du public.


© Amellie Chatellard 


À chaque interlude, le leader aux allures de conteur créole (la remarquable Davide-Christelle Sanvee) en costume blanc et chaussures de clown, assure voir clair dans le jeu de la foule qui l’entoure : « Vous êtes venus ici pour pleurer parce que vous n’y arrivez pas tout seul. » Pour obtenir la libération des glandes lacrymales, il faudra prendre pleinement part au spectacle et attention : interdit de se retenir. Une intensité de drama-queen pour laquelle il faut tout de suite signaler la virtuosité des interprètes. L'arène du Concours de larmes est pensée comme espace pour exorciser le malheur, à l'instar des festivités du carnaval de Guadeloupe, dont est originaire Marvin Mtoumo. Maîtresse des crises de nerfs, des tirades euphoriques et des fous rires machiavéliques, Davide-Christelle Sanvee interpelle : pourquoi être venu ? « Pour observer la race des pleureuses ? » demande-t-elle, loin d’être dupe de la nature des regards qui se posent sur leurs corps noirs. Sans détour, Concours de larmes sonne le glas des hypocrisies.


Sous le chapiteau de ce cirque fashion, Marvin Mtoumo, formé à la HEAD de Genève, continue d’étendre sa recherche textile et formelle autour de la même obsession : les œufs et les plumes. Robes années 1920 en duvet filiforme, boucles d’oreilles en coquilles blanches, mini-robe corset fluffy et string immaculé, la collection est monochrome mais s’amuse des contrastes. Si on tend l’oreille, la musique signée Vica Pacheco et Baptiste Lechapelain semble même se faire l’écho de quelques bruits de gallinacées. Les plumes chamarrées du carnaval deviennent plumes d’autruche unicolores, objet de luxe décliné sur une série de pièces bricolées aux mouvements hypnotiques comme les chapeaux-cygnes de celles qu’on présente comme les Dépressions passagères. Perchées sur des talons hauts, les deux performeuses traversent la scène, à la façon d’un couple d’oiseaux migrateurs, en chemin vers des cieux plus cléments. Félins furieux, démon aux oreilles d’éléphant et museau de taupe, les physionomies animales continuent de nourrir le travail de l’artiste. À poil ou à plumes, malgré leurs différences, les créatures de Concours de larmes font partie de la même grande famille et s'imposent du côté des êtres sensibles. L’univers de Marvin Mtoumo est une arche de Noé sur laquelle tout le monde, cygne ou pigeon, a le droit à son costume sur mesure.


Pour déjouer tout procès en superficialité, Concours de larmes amplifie le défilé de mode et forge un texte de théâtre solide et puissant. Résultat : une synergie formidable, de l’humour irrésistible du Clown triste à la performance horrifique et désarticulée des trois Jérémiades en tutu.


© Amellie Chatellard, Les Jérémiades en tutu


On le savait designer, avec Concours de larmes Marvin Mtoumo impose sa maîtrise du verbe. Une poésie corrosive, pleine d’astuces et généreuse, qui file la métaphore des pleurs à l’instar d’une autre génie des images : Rébecca Chaillon. Concours de larmes est un texte qui supporte des tirades d’une intensité à faire craquer le plus pudique des spectateurs mais qui gagnerait parfois à être condensé. Des flottements occasionnels et vite oubliés lorsqu’au détour d’une phrase, le politique surgit. La langue-serpent de Marvin Mtoumo se noue alors autour du cou et force à regarder l’innommable. Un rapport au spectateur qui détonne et que l’artiste admet volontiers : « Ils ne sont pas prêts pour ce qu’on a à leur dire. On n’est pas là pour se justifier mais pour mettre des claques. » Esthétiques, bien sûr.


> Concours de larmes de Marvin Mtoumo du 4 au 7 mai à l’Arsenic, Lausanne ; du 11 au 16 mai au Grütli, Genève